Coup de théâtre, le 14 septembre 2010, alors que le procureur de la Commission annonce triomphalement que l’horaire de présentation de sa preuve sera perturbé par le témoignage d’un expert qui a analysé le morceau de carton sur lequel Marc Bellemare avait griffonné quelques notes, avait-il dit, le jour de sa démission.
Et pour ajouter au suspense, le procureur ajoute que Marc Bellemare devra témoigner de nouveau afin de réconcilier son témoignage antérieur et celui de l’expert qui témoignera le lendemain.
Force est d’admettre, toutefois, que le témoignage de l’expert Luc Brazeau, ce 15 septembre, n’aura rien apporté. C’est un coup d’épée dans l’eau. Une journée perdue. Un « pétard mouillé », en somme:
Pour bien des observateurs, l’intervention de l’expert, un témoin surprise annoncé la veille avait des allures de pétard mouillé. Me Battista, le procureur de la commission, a précisé après le témoignage qu’il fallait entendre M. Brazeau immédiatement, puisque ce dernier partira samedi à l’étranger pour une longue série de conférence sur sa spécialité, la datation de l’encre de stylo. – Denis Lessard, Cyberpresse : Notes de Bellemare, les parties incriminantes écrites plus tard, 15 septembre 2010
Qu’à cela ne tienne. Ce témoin n’a rien dit de plus que ce que Marc Bellemare avait lui-même mentionné dans son témoignage : ses commentaires avaient été griffonnés, pour l’essentiel, pendant qu’il regardait un match de hockey. D’autres, sur ce bout de carton, avaient été ajoutés dans la semaine qui a suivi. Entre le 27 avril et le 3 mai 2004, avait-il précisé.
Me Battista n’avait pas l’obligation de faire entendre ce témoin, et il aurait dû y renoncer, plutôt que de perturber l’horaire déjà chargé de la Commission. Au surplus, avant de confier le mandat d’analyse à M. Brazeau, son équipe semble avoir négligé de vérifier s’il était possible, par ce moyen, d’attaquer la crédibilité de Marc Bellemare. Comme l’a mentionné le témoin Brazeau, il n’est pas possible de démontrer en quelle année les ajouts avaient été apportés par Marc Bellemare. C’était là, en quelque sorte, remettre en question l’utilité de son analyse chimique et de son témoignage. Much ado about nothing – William Shakespeare, hiver 1598-1599…
Dès lors, il aurait dû apparaître à l’équipe de Me Battista que ce témoignage ne serait pas pertinent. Quelqu’un, ici, a fait preuve d’un manque de professionnalisme flagrant. Et d’un manque de jugement.
Et dire qu’on a réservé la journée du 16 septembre au ré-interrogatoire de Marc Bellemare, les questions ne pouvant porter que sur la réconciliation de son témoignage antérieur et du témoignage de l’expert Brazeau. Lequel, je tiens à le préciser, ne fait pas partie de ces bouffons que mentionne l’intitulé du présent billet.
Combien de coups de pied au cul auront été perdus, ces 14 et 15 septembre?
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Le journaliste Denis Lessard avait déjà publié l’essentiel des conclusions du témoin Luc Brazeau, AVANT son témoignage: « Des notes écrites avec deux types d’encre », 15 septembre 2010, 05h00.
Lessard a écrit: Le rapport de l’expert, spécialisé dans la spectrographie des encres de stylo-bille, n’a pas été rendu public, mardi. Mais, selon ce qu’a pu apprendre La Presse, M. Brazeau établira que les trois lignes pertinentes au mandat de la Commission ont été écrites avec un autre stylo que le reste du texte.
C’est le cas par exemple de la note écrite en style télégraphique, «FF et CR pressions ++ C Q», qui signifiait, selon le témoignage de Me Bellemare: «Franco Fava et Charles Rondeau exercent beaucoup de pressions pour la Cour du Québec.»
Bravo, Denis Lessard. Mais honte au responsable de la fuite.
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Les questions posées par Me Suzanne Côté (procureure du gouvernement du Québec) au témoin Brazeau, ce 15 septembre, m’ont semblé provenir d’une avocate mal préparée, complètement ignorante du sujet qu’elle devait aborder au cours de son contre-interrogatoire. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec ses questions, Me Côté est loin d’avoir atteint la quintessence dans l’art du contre-interrogatoire.
Il eut certes été plus prudent de consulter un expert de la question (sans jeu de mots!), avant d’entreprendre un contre-interrogatoire non seulement stérile mais dévastateur… pour sa propre réputation. Ces questions de Me Suzanne Côté n’étaient pas à la hauteur de sa réputation . Foi de plaideur… Moi aussi, j’en ai posées, des questions stériles. Mais je n’ai jamais contre-interrogé un témoin-expert sans m’être au préalable assuré de posséder un niveau minimal de connaissances!
Avant de contre-interroger un entrepreneur en construction, un avocat devrait au moins savoir qu’une fourrure résiliente n’a rien à voir avec la peau d’un animal! Ne riez pas; j’ai connu une collègue qui, à son tout premier procès, avait confondu fourrure et fourrure. Selon ce que m’a plus tard racontée cette collègue, le juge Camille Bergeron l’avait trouvée bien drôle, celle-là. Surtout qu’il était lui-même un bricoleur du dimanche!
Au moment de publier ce billet, ni l’extrait vidéo ni la transcription de la séance n’étaient disponibles sur le site de la Commission.
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D’entrée de jeu, ce 15 septembre, Me Battista s’est senti obligé de faire une mise au point, tel que le rapportait le Journal de Québec:
9H47 : Me Battista fait des mises au point. Marc Bellemare « n’aura pas à réconcilier son témoignage avec celui de l’expert », précise-t-il.
De mémoire, la veille, on avait malencontreusement laissé entendre que Marc Bellemare serait rappelé à la barre pour réconcilier son témoignage avec celui de l’expert. Or il n’y a rien à réconcilier, les deux témoignages étant parfaitement compatibles l’un avec l’autre.
C’est ce dont Me Battista s’était rendu compte avant de confier l’interrogatoire de M. Brazeau à son collègue, Me Éric Downs. Mais il était trop tard; le mal avait déjà été fait. Des attentes avaient été créées. Et le pétard n’en aura paru que plus mouillé encore.
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Même André Pratte s’en mêle, lui qui conclut (blogue de l’édito, La Commission Bastarache se ridiculise):
De toute façon, comme l’analyse de l’expert Brazeau ne contredit en rien les propos de Me Bellemare, on aurait dû se disposer de le faire témoigner. L’exercice aura eu pour seul effet – malheureux – de ridiculiser la commission aux yeux du public.
Se dispenser, André. On aurait dû se dispenser de le faire témoigner. Pas « se disposer ».
C’est de plus en plus en train de devenir un procès contre Bellemare.
Bon, maintenant on sait que Bellemare possédait au moins trois stylos.
Tu vois les choses comme elles sont, David.
Pas un procès, toutefois, mais un long exercice, payé à même les fonds publics, destiné à démolir la crédibilité de Bellemare dans le cadre d’un procès intenté par Charest contre Bellemare.
Le pire, c’est que je ne pense pas que le procès aura lieu (Charest c. Bellemare et aussi Bellemare c. Charest); des dossiers de diffamation, j’en ai pilotés quelques-uns, pour des montants dépassant parfois le quart de million, et je me doute que des assureurs sont peut-être impliqués, pour propos tenus dans l’exercice des fonctions (du moins dans le cas de Jean Charest).
Les intérêts de l’assureur et ceux de l’assuré ne sont pas nécessairement convergents. L’assureur n’en a rien à foutre de la réputation de X ou de Y; il cherche à limiter les dommages qu’il pourrait devoir payer. Et c’est là que le tordage de bras commence à jouer.
Ce tordage de bras peut-il jouer ici? Je ne sais pas.
Mais je pense néanmoins que les deux procès (l’un contre l’autre et l’autre contre l’un) vont se terminer par un règlement hors cour un peu beaucoup à l’initiative du juge qui aura été saisi du dossier (ça se fait bien avant le procès, maintenant!).
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@lizzie
Au moins 3 stylos? Hum… Moi, c’était 2 ou 3 par veston, et au moins 3 ou 4 par porte-document. Sans compter la vingtaine qui trainaient dans mes tiroirs.
Poser la question à Bellemare au lieu de faire déterminer au moyen d’une expertise, ça aurait coûté $1 (la transcription par la sténographe).
Bof…
Le gars est expert en datation de l’encre de stylo et il est incapable de dater 3 encres différentes ?
bravo l’expert.
ManiHack
À première vue, ça peut surprendre. Mais j’ai entendu le gars réciter son CV et son expérience professionnelle, et il me semble parfaitement qualifié.
Me semble avoir entendu au bulletin de nouvelle de la SRC une entrevue avec une chimiste qui m’a semblé aller dans le même sens. J’en suis surpris mais bon, ça fait 2 en 2…
Et c’est pas faute d’avoir moi-même fait témoigner des experts capables de faire la preuve d’un faux. Souvent, je le reconnais, davantage par l’examen du support papier que de l’encre.
Je suis loin d’être chimiste. Mais si j’ai bien compris, certaines encres sont luminescentes, d’autres pas, et cela pourrait être un facteur. Pourrait…
J’ai l’impression (intuitivement) qu’une fois déposée sur le papier, les propriétés de l’encre vont va
Pendant le témoignage de l’expert je me demandais constament pourquoi la commission avait décidé de le faire témoigner malgré les résultats métigé de l’expertise.
J’ai trouvé ma réponse sur le blogue de l’Astidastineux, le Gentil blogue.
Le piège à con. http://gentiblogue.blogspot.com/2010/09/un-autre-piege-cons-se-referme.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Gentiblogue+%28Gentiblogue%29&utm_content=Google+Reader
@papitibi, vous l’écrivez-vous même, pour ne pas avoir renoncé à faire témoigner l’Expert ?
Il est TOTALEMENT impossible qu’aucun des avocats officiels de la Commission et les 3 de Charest n’aient prit connaissance au préalable des résultats de ce même Expert en datation et le faire venir quand même ?? Comme dirait un expert en perronismes, y’a encrier sous roche !
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Cyberlou, merci pour ce lien et pour votre commentaire,
@Cyberlou et Gentil Astineux
Réponse sur Gentilblogue. Et réponse plus spécifique au questionnement de Gentil Astineux, sur son blogue, il y a quelques minutes. Je la répète ici:
Il y a eu erreur grossière au niveau de la préparation; cette erreur provient de l’équipe des avocats de la Commissio, pilotée par Me Battista.
Avant de réserver une journée complète au témoin Brazeau, ils auraient dû vérifier auprès de lui s’il serait en mesure de « livrer la marchandise » (crucifier Bellemare).
Manifestement, ils n’ont pas fait leurs devoirs.
Ça sent l’improvisation. L’équipe de Me Battista donne l’impression d’avoir demandé à Brazeau de réagir sur un 10 cennes, et de pondre un rapport très rapidement, avant de partir à l’étranger pour une période d’un mois. Ils ont donc réservé la date du 15 à Brazeau, sans même savoir ce qu’il aurait à dire.
Et ils ont reçu le rapport trop tard pour pouvoir réagir, annuler son témoignage et réorganiser l’horaire de la Commission.
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Dans ma carrière de plaideur, j’ai assigné des centaines de témoins experts mais dans tous les cas, j’étais en possession de leur rapport écrit depuis des mois, sinon des années. Et dans certains cas, surtout quand j’agissais en défense, j’ai renoncé à produire le rapport que j’avais commandé, et renoncé à faire témoigner mon expert. Ça arrive que l’expert nous « chie » dans les mains et nous fasse un rapport dont les conclusions nous déplaisent.
Sauf que quand ça arrive, l’avocat a le temps de réagir.
Devant la Commission, en raison de l’horaire chargé du témoin Brazeau, les avocats de l’équipe Battista ont été dans l’obligation de lui réserver une journée AVANT même de savoir si ce témoignage pouvait leur être utile.
C’est ça qui arrive quand tu improvises.
Ça t’éclate dans la face.
Alors je dis: travail d’amateurs!