L’inexpérience, ou Michel-en-arrache
Parler d’inexpérience dans le cas d’un ancien juge de la Suprême, cela pourra, aux yeux d’un profane, paraître inconvenant, sinon même outrancier.
Je persiste et signe néanmoins : Michel Bastarache n’est familier avec le déroulement d’un procès, ni à titre de plaideur, ni à titre de juge…
Il faut comprendre que depuis son admission au Barreau, Michel Bastarache a surtout fait carrière au sein de l’Assomption-Vie, ou encore dans l’enseignement du droit à Ottawa et à Moncton. Il a été nommé à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en 1995 et à la Cour Suprême, en 1997. En juillet 2008, il s’est joint au cabinet Heenan Blaikie, à Ottawa.
Carrière remarquable, certes. Mais ce n’est pas une carrière qui prépare à la présidence d’une Commission d’enquête! Surtout quand le témoignage d’un ancien ministre et celui d’un ancien sous-ministre, tous deux avocats, sont contredits par deux autres avocats dont l’un est Premier Ministre… Surtout quand les témoins peuvent être interrogés tour à tour par 8 procureurs différents. Surtout quand quelques coqs s’affrontent dans une toute petite enceinte…
L’impatience, ou Michel Bâtit-sa-rage
Ce 22 septembre, Marc Bellemare avait laissé de côté son procureur habituel, Me Rénald Beaudry, et il était accompagné par l’avocat qui le représente dans l’action au civil, Jean-François , fils de Guy Bertrand.
Le message était lancé; Bertrand est plus agressif que Beaudry, et le Commissaire a d’ailleurs semblé se braquer, très tôt dans la journée. Ce que me semble confirmer ce « C’est pas vous le Commissaire », lancé en matinée à Me Bertrand à propos d’une divergence entre leur interprétation respective de certains poins de droit.
À Me Bertrand qui demande au Commissaire d’ordonner la production de documents en version non caviardée, Bastarache répond sèchement qu’il devra s’adresser à la Commission d’accès à l’information.
Bien mauvaise décision, et démonstration éclatante, par le Commissaire, d’une certaine méconnaissance du droit québécois. D’une part, la Commission d’accès va prendre tout son temps pour donner suite, ce qui forcera Me Bertrand à demander un délai additionnel avant d’interroger sur ces documents qu’il n’aura pas reçus à temps. D’autre part, et au nom du mandat qui lui a été confié de protéger la confidentialité des renseignements nominatifs, la Commission d’accès va refuser de fournir à Me Bertrand des documents moins caviardés que ceux qu’il aura reçus de la Commission.
Décision d’autant plus abusive que Me Bertrand demandait simplement à consulter ces documents dans les bureaux de la Commission, sans possibilité d’en prendre copie.
Pire encore: le Commissaire demande à Me Bertrand de se fier sur la bonne foi de la Commission à cet égard: si elle a caviardé, c’est qu’elle avait raison de le faire.
Décision d’autant plus inopportune que les parties sont ainsi privées du droit de poser des questions sur le mot « péquiste« , dont on sait qu’il apparaissait sur un document avant d’être biffé. Devant une Commission chargée de vérifier s’il y a trafic d’influence dans la désignation des juges, le fait d’exclure un candidat parce qu’il est péquiste n’est-il pas une autre forme de trafic d’influence en faveur des candidats d’allégeance libérale?
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Avant l’ajournement du midi, et alors que Me Bertrand interrogeait le témoin Rondeau, le Commissaire le menace de mettre fin à son contre-interrogatoire s’il ne le recentre pas sur l’objet de la Commission; il ira même jusqu’à lui demander de s’asseoir avec Me Battista et de lui soumettre à l’avance les questions que lui, Me Bertrand, entend poser au témoin.
Au retour, à 14 heures, Michel Bastarache se ravise, et offre plutôt à Me Bertrand de contre-interrogatoire pendant 30 minutes additionnelles, sans interruption de la part du Commissaire.
J’ai passé plus de 20000 heures de ma vie à torturer des témoins et à plaider devant un juge, de Rouyn-Noranda à Victoriaville et de Longueuil à Chibougamau. Et jamais, je n’ai été témoin d’une telle ordonnance de mise en tutelle d’un avocat par l’un de ses adversaires.
J’ai assisté à de brusques changements d’humeur, de la part d’un juge, mais jamais de cette ampleur.
Michel Bastarache n’a jamais été appelé à diriger le trafic, même pas le trafic d’une trail à vaches, et voilà qu’on lui confie le mandat de gérer tous les changements de voie de tous les véhicules qui circulent sur une autoroute à 8 voies (c’est le nombre des parties, incluant la Commission elle-même). Il paraît complèment dépassé.
Michel Bastarache n’a siégé qu’au sein de Tribunaux d’appel, d’abord à Fredericton puis à Ottawa. Les juges des Cour d’appel et de la Cour suprême limitent la durée des représentations de chacune des parties, ce qui est tout à fait légitime, dans la mesure où les avocats ont déjà échangé entre eux et produit au greffe de la Cour leur argumentation écrite, copie des pièces (« exhibit », en anglais), copie du jugement frappé d’appel, copie des transcriptions des témoignages et copie de la jurisprudence qu’ils estiment pertinente à la solution du litige. Dans les circonstances, l’argumentation verbale n’est qu’un wrap-up. Un résumé.
Devant un Tribunal d’appel, les juges ne jouent pas ce rôle de préfets de discipline que doivent jouer les humbles juges de première instance et (parfois) les membres de certains tribunaux administratifs.
Devant un Tribunal d’appel, les juges agissent en collégialité. Mais devenu Commissaire, Michel Bastarache est, pour la première fois, laissé à lui-même.
Habitué à limiter la durée des argumentations verbales, le Commissaire a commis une faute en limitant la durée du contre-interrogatoire et en interdisant à l’avance les questions ne portant pas spécifiquement sur l’objet de la Commission. Un avocat PEUT et DOIT contre-interroger un témoin sur des sujets hors d’ordre, pourvu qu’il le fasse avec modération et dans le seul but de tester la crédibilité ou la mémoire d’un témoin. C’est ce genre de questions qui aide un Tribunal ou une Commission d’enquête à déterminer si le témoin récite servilement ce qu’on lui a dit de réciter, ou s’il puise vraiment dans ses souvenirs. Ou encore, si la capacité du témoin de se remémorer un passé lointain est factice, ou réelle…
Dans la seconde partie de ce billet, nous nous attarderons sur les indices de la couleur du jupon du Commissaire. Ces indices sont de plus en plus nombreux…
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