D’entrée de jeu, je tiens à préciser que je ne remets ici en doute ni la probité ni les compétences professionnelles de Marc Bisson alors qu’il était membre du Barreau, ni ses qualités de juriste, ni ses compétences en tant que juge à la Cour du Québec.
Je ne m’intéresse qu’au processus de sélection des juges et aux problèmes éthiques que soulève ce processus.
En guise d’apéritif, je propose cette analyse de Michel Pepin, publiée le 20 septembre sur Radio-Canada.ca:
Une des nominations qui fait partie du mandat de la commission Bastarache mérite une attention particulière : celle de Marc Bisson, le 26 novembre 2003, à la Cour du Québec de Longueuil, chambre criminelle et pénale […]
[…] Le nom de Marc Bisson n’avait pas été retenu parmi les candidats du comité de sélection. L’« historique » du dossier préparé par Nicole Breton (pièce 8P, p. 60) ainsi que son témoignage confirment ce fait, que personne n’a mis en doute.
Malheureusement pour ceux qui sont à la recherche de la vérité, Nicole Breton ne se souvient pas des circonstances qui auraient expliqué l’apparition du nom de Marc Bisson comme juge recommandé à la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale de Longueuil.
Me Breton a succédé à Me Pierre Legendre [NDLR: celui que Marc Bellemare a fait muter parce qu’il est le frère de Richard Legendre, ancien ministre du PQ], à titre de coordonnatrice intérimaire à la sélection des juges – transcription des témoignages du 7 septembre, p. 238.
À la page 254 de la transcription, Me Breton confirme que le nom de Marc Bisson ne figurait même pas parmi les 3 recommandations du Comité de sélection:
Par Me Charrette, pour la Commission: Pourriez-vous — et conservez les mêmes pages avec vous — pourriez-vous me confirmer que le nom de Marc Bisson n’apparaît pas parmi ces trois (3) noms, soit les personnes déclarées aptes pour le concours CQ157? Donc, dans ces personnes…
Par me Nicole Breton: Je vous le confirme.
Je précise ici que deux des trois candidats suggérés par le Comité de sélection avaient fait l’objet d’une contre-recommandation après enquête policière, ce qui est très rare! Il n’en demeure pas moins que le troisième candidat recommandé par le Comité n’a pas été retenu malgré la recommandation, et que Marc Bisson a été nommé à ce poste. Nous verrons plus loin le commentaire du témoin Nicole Breton à cet égard. Ce candidat que l’enquête de sécurité n’avait pas écarté était peut-être le plus compétent de tous; nous ne saurons jamais…
C’est ce même Marc Bisson qui avait fait l’objet d’une chaude recommandation du ministre Norman MacMillan, comme il l’a lui-même reconnu pendant son témoignage.
Revenons au témoignage de Me Breton, cette fois aux pages 260 et 261 de la transcription: c’est à cette question, et à cette réponse de Me Breton, que référait l’analyse de Michel Pepin, ci-dessus:
Par Me Charrette – Alors, si je comprends bien, madame Breton, le quatre (4) novembre deux mille trois (2003), suite à la réception du rapport négatif de la Sûreté du Québec concernant le candidat B, pour lequel on indique «O.K.», il aurait été possible de procéder à la nomination de ce candidat. Avez-vous un souvenir de la raison pour laquelle, au lieu de procéder à la nomination de ce candidat, une nouvelle demande d’enquête est présentée à la Sûreté du Québec concernant Marc Bisson et c’est ce qui apparaît, là, de votre historique? Est-ce que vous avez un souvenir, vous, de ce qui se passe entre ces deux (2) moments-là et de la raison pour laquelle ça se passe?
Par le témoin Nicole Breton – Non, pas du tout.
Me Rénald Beaudry contre-interroge brièvement Nicole Breton; la réponse qu’il obtient laisse un gros point d’interrogation quant à l’intégrité du processus de nomination, et c’est bien dommage pour Marc Bisson, dont, je le répète, je ne remets aucunement en doute les qualités et la compétence.
Par Me Rénard Beaudry:Le résultat de ces trois (3) enquêtes-là, vous avez dit qu’il y en a un… enfin, il y en a deux (2) qui sont revenus avec des condamnations à… à quelque chose, on ne le sait pas si c’est au criminel ou au pénal ou, enfin, peu importe, et il y en a un qui c’était O.K., c’était correct, là, il passait l’enquête de sécurité, c’est exact?
Par le témoin Nicole Breton: Exact.
Par Me Rénard Beaudry: Et pourquoi cet avocat-là n’a pas été nommé à Longueuil et que c’est monsieur Bisson qui a été nommé?
Par le témoin Nicole Breton: Je n’en ai aucune idée.[transcription du 7 septembre, p. 271]
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Le témoin Breton n’en a aucune idée. Et si on avait posée la question au ministre Norman MacMillan, aurait-il répondu une fois encore qu’il a bien fait son job de député?
Pour mémoire:
Le ministre Norman MacMillan a déclaré mardi qu’il a accompli son travail de député lorsqu’il a fait la promotion du fils d’un organisateur libéral de sa région pour un poste à la magistrature auprès du ministre de la Justice Marc Bellemare.
Devant la commission Bastarache qui enquête sur les allégations de trafic d’influence formulées par M. Bellemare, M. MacMillan a répété qu’il était intervenu le 6 novembre 2003 auprès de son collègue pour attirer son attention sur la candidature de l’avocat Marc Bisson à un poste de juge.
M. MacMillan a affirmé mardi qu’il était revenu à la charge auprès de M. Bellemare quelques semaines plus tard, avant d’apprendre que le gouvernement allait nommer M. Bisson juge à la Cour du Québec, à Longueuil.
…
Le député MacMillan, qui représente une circonscription de l’Outaouais, a soutenu que ce type de représentation effectuée auprès de son collègue de la justice faisait partie de ses fonctions d’élu.
M. MacMillan a affirmé que d’autres avocats s’étaient adressés à lui pour des requêtes semblables mais il a reconnu qu’il n’était jamais intervenu pour eux.
Serait-ce là la réponse à la question posée à Nicole Breton par Me Beaudry?
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For the sake of full disclosure, je rappelle que dans les années ’80, le gouvernement Lévesque a lui-même lancé successivement deux appels de candidature pour un même poste de juge à la Cour du Québec.
Un bon nombre d’avocats, dont certains fort compétents, ont fait acte de candidature. Je connaissais plusieurs des candidats et je savais que plusieurs d’entre eux auraient fait d’excellents juges. Le ministre n’a pourtant procédé à aucune nomination et a lancé un deuxième appel de candidatures.
Au meilleur de ma connaissance, un seul candidat aurait alors soumis sa candidature, et il s’agissait du frère d’un membre du cabinet Lévesque. Au moment du premier concours, lancé quelques mois plus tôt, ce candidat n’était pas admissible; il n’était pas membre du Barreau depuis 10 ans… Entre le premier et le deuxième concours, il est devenu admissible.
Et sa candidature a été retenue.
Encore une fois, je ne remets en doute ni les compétences de ce candidat au moment où il a posé sa candidature, ni ses compétences en sa qualité de juge. C’est la politisation du processus de nomination que je remets en question.
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Je poursuivrai cette analyse dans un prochain billet: l’éthique politique élastique des apparatchiks.
J’y aborderai notamment le témoignage de madame Huguette St-Louis devant la Commission Bastarache, témoignage qu’elle a rendu en sa qualité de juge en chef à la retraite. Il s’agit là d’un complément essentiel au présent billet.
Suivront également quelques exemples de cette élasticité que je crois devoir dénoncer…
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