Printemps libyen: rouge sang, noir pétrole ou vert espoir?

Kadhafi. Quarante deux ans plus tard, le voilà qui s’en va aussi sobrement qu’il aura vécu…

Quelqu’un, que je ne nommerai pas, a affirmé tout aussi sobrement (!!!) que le décès du Colonel allait m’attrister au plus haut point:

@ papitibi.

Cette année, est très triste, pour l’idiot utile que tu es: tes héros Ben Laden et Kadhafi ont, tous les deux, été tués!!! Hey, le prochain, ça va être ton héros Al-Assad!!! 

On va mettre les choses au clair. Depuis les libertaires anarchistes jusqu’aux libertariens, en passant par les maoïstes, les trotskystes, les marxistes-lénininistes, les socialistes, les socio-démocrates, les centristes, les libérules, les adéquistes, les Caquistes-à-Legault, les Alliancistes-Réformistes-Conservateurs à Harper, la droite religieuse, nous sommes tous unanimes à condamner Ben Laden, Kadhafi et Al-Assad. Je puis y ajouter Ahmadinejad et tous les ayatolahs réunis.

Je dois bien appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories, non?

Bon. Kadhafi n’est plus là. Reste la Libye, avec son pétrole, et des millions de Libyens unis les uns les autres contre Kadhafi, mais pas nécessairement d’accord entre eux. Restent des armes, entre les mains d’on ne sait qui…

De quelle couleur sera donc le printemps libyen?

Allons-y avec les choix de couleur que nous offre le drapeau libyen, ce sera plus simple. Et sans doute plus facile à comprendre pour un jeune cerveau incapable de s’accommoder de la moindre nuance, en raison du développement incomplet de ses lobes frontaux.

Rouge sang, noir pétrole, ou vert espoir? Guerre Civile? Mainmise totale par l’Occident (pétrole)? Ou démocratisation?

Noir pétrole?

Oui, du pétrole il y en a… et ces bons messieurs de l’OTAN, si généreux, ne vont pas tendre la main, bien sûr… C’est par pure abnégation, évidemment, que les forcers de l’OTAN vont aider les Libyens à siphonner leur pétrole et à l’écouler sur les marchés… occidentaux.  À prix d’ami, bien sûr; que ne ferait-on pas pour nos nouveaux amis, après tout?

Toutefois, et à moins de faire preuve de cette naïveté qui caractérise les libertariens et autres dretteux-à-gogo, il est possible – je dis bien POSSIBLE, sans plus – que nos nouveaux amis libyens – ou certains d’entre eux – fassent preuve d’ingratitude à l’égard de l’Occident. Après tout, ils sont musulmans, n’est-ce pas? Et comme le chantent en coeur Djemila Benhabib (À contre coran), les Zamis de la Vérité, Poste de veille, Jihad Watch, Bivouac, Geert Wilders, Jean-Luc Proulx, le futur nobélisé Michael LaughLaugh et tous ses amis abonnés de ces excellent blogue qu’animent David le Tatagoniss et ce bon vieux Richard Martineau, les mousselimes n’ont qu’une idée en tête: nous enfoncer, leur osti de charia, dans la gorge, hein!!!   

Rouge sang? Vert espoir?

Dans sa folie mégalomane, et même s’il feignait de vivre sous la tente comme les Bédouins, Kadhafi s’était fait construire de somptueux palais. Et dans sa folie meurtrière, il avait accumulé plus d’armes que tous les Libyens réunis n’en sauraient manipuler!

L’OTAN a détruit – enfin, il faut l’espérer – une majorité des dépôts d’armes aménagés par le régime du Colonel. Mais voilà, toutes les caches n’avaient pas été détruites et derrière les forces kadhafistes en fuite, les rebelles, toutes factions confondues, ont mis la main sur le butin.

Toutes factions confondues? La Libye était sous Kadhafi un conglomérat de tribus, réparties dans trois grandes régions: la Cyrénaïque, le Fezzan, la Tripolitaine, qui sont chacune rattachée à leurs trois voisins, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie. Des clans, rassemblés par la terreur sous Kadhafi.

Je cite un texte de Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek, 24 février 2011 (tiré de Libération):

Car, c’est là le problème, le long règne de Kadhafi est aussi l’histoire d’une longue hostilité entre tribus. Les conflits se sont exprimés parfois de manière brutale. Ce fut le cas en 1993 lorsque le numéro deux du régime, mais aussi le chef de la tribu des Magariha, fut écarté après avoir été soupçonné d’être associé à la tentative de coup d’Etat préparée par un groupe d’officiers d’une autre tribu, celle des Warfalla, bien plus puissante que celle de Kadhafi, les Khadafa. L’objet du complot résidait dans le fait que cette tribu ne se sentait pas suffisamment représentée au sein de l’armée.

Dans le contexte d’extrême violence actuelle, le signe le plus inquiétant pour l’avenir immédiat du colonel Kadhafi est l’éclatement du pacte tribal. Si l’hostilité latente intertribale est la norme en temps de paix, on assiste aujourd’hui à la rupture totale.

Il y a le conflit inter-tribal, auquel se superpose un autre conflit, plus idéologique, entre les islamistes ultra-religieux et des factions plus modérées. Et les religieux ne s’entendent pas entre eux. Alors…

Ça fait de la Libye un baril de poudre. Et bien malin celui qui peut prédire aujourd’hui avec certitude de quoi sera fait le printemps libyen. Suffit ici de rappeler les craintes manifestées par Israël après de renversement de Moubarak en Égypte; ces craintes ne sont pas nécessairement sans fondement, dans la mesure où les Frères Musulmans pourraient hériter de la direction du pays ou, du moins, prendre une part active dans le futur gouvernement égyptien.

En ce sens, et comme disent les Anglais, a bird in the hand is worth two in the bush. Un tiens (Kadhafi, aussi affreux était-il) valait-il mieux que deux tu-l’auras (l’inconnu)? Évidemment, je vois déjà les esprits obtus m’accuser d’être un pro-kadhafi; les boeufs sont aussi lents que la terre est  patiente, après tout…

Quelqu’un peut-il expliquer à Jean-Luc Proulx que peut-être et assurément ne sont pas synonymes? Quelqu’un peut-il lui expliquer le sens du mot synonymes? Quelqu’un pourrait-il lui greffer un cerveau, finalement?

Possibilité d’un backlash?

S’il est possible de trouver en Haïti des partisans de Duvalier, quelles que soient les exactions pratiquées par le régime de Bébé-Doc, et s’il est possible de trouver en Iraq des Irakiens qui regrettent déjà ce tyran qu’était Saddam Hussein, on peut imaginer aisément que dans un an, dans deux ans ou dans cinq ans, il se trouvera des Libyens pour pleurer la mort de Kadhafi et en accuser les forces de l’OTAN?

C’est que… il a été assassiné, le mossieu, et déjà, j’ai entendu le cri de « crime de guerre« ; c’est de cela qu’on fait les martyrs, et c’est du sang des martyrs que l’on fait les héros. Crime de guerre ou non, il eut mieux valu que Kadhafi soit traduit en justice devant la Cour pénale internationale; peut-être cela aurait-il pu éviter que la mort violente de Kadhafi ne serve éventuellement de carharsis, ou de purgatoire à sa mémoire.

Jean-Luc, mon petit Jean-Luc, c’est pour toi seul que je précise: je réfléchis tout haut, je m’interroge. Ça n’est pas un souhait que j’exprime, tête de pus…

Au risque de passer encore une fois pour un idiot utile au sein de la tribu à laquelle appartient mon correspondant, je me permettrai néanmoins d’émettre certaines nuances…