Abutyrotomofilogénisme et liberté d’expression: retour sur l’affaire CHOI-FM

Ça, c’est d’la cultivance: un mot de 22 lettres qui n’est même pas dans le P’tit Larousse! Ça fesse dans’l dash, ça, hein???

Jean-Luc Proulx, dit le dégonflé [1], a publié ce 10 novembre 2011 le commentaire suivant:

Duceppe lui-même est l’une des principales raisons de pourquoi je ne votais pas pour le Bloc!!!

J’ai encore au travers de la gorge son appui à l’attaque fédérale, par l’intermédiaire du CRTC, un organisme fédéral de censure, contre CHOI-FM, en 2004!!! Quand on est vraiment un démocrate, on n’applaudit pas une telle attaque, contre la liberté d’expression et contre la liberté de la presse!!! Quand on est vraiment un souverainiste, on n’applaudit pas une telle attaque fédérale, contre un média du Québec, car, ce faisant, c’est une attaque directe du fédéral contre les intérêts du Québec!!!

Je me souviendrai toujours du traitement que Duceppe nous a réservé, à nous, ceux qui ont, courageusement, marché, de Québec à Ottawa, pour la liberté d’expression, en juillet 2004, alors que l’on avait reçu l’appui de Reporters sans frontières, celui de l’ADQ, celui des conservateurs et celui du NPD!!! Même après sept ans, je l’ai toujours au travers de la gorge et je ne lui pardonnerai jamais ce qu’il nous a fait, à nous, qui ne réclamions que le respect de la liberté d’expression et de la liberté de la presse!!!

C’est pourtant ce même abutyrotomofilogène [2] qui menaçait parallèlement, le même jour (8 novembre 2011)  de porter plainte contre l’exercice de la liberté d’expression sur ce blogue. Entre sa dénonciation de la liberté d’expression et son plaidoyer pour la liberté d’expression, il ne s’est écoulé que quelques brefs instants:

Bon, ça suffit, j’en ai ma claque!!! Papitibi, si tu ne calmes pas l’aile antisémite de ton blogue, je vais être obligé de le faire pour toi, en signalant un abus, à ton hébergeur!!!

This guy – yeah, THIS one –  is running for mayor! Un emploi de girouette, au bout d’un mat haut-perché, me semble que ça lui conviendrait davantage, non? Là haut, Jean-Luc aurait enfin droit à la visibilité qu’il mérite.

Le cas CHOI-FM

La décision rendue par le CRTC le 13 juillet 2004 compte 144 paragraphes. Elle s’appuyait sur des motifs inattaquables et n’a rien d’arbitraire, ce pourquoi elle n’avait pas surpris les spécialistes du droit des médias.

Mais l’Institut Économique de Montréal – l’IÉdM, lui, a pété les plombs.  Un texte non signé, qui pue à la fois la couardise, l’ignorance crasse et la plus vile démagogie. Bref, un texte un texte à la hauteur de la réputation de l’organisme…

Dans sa décision, le CRTC affirme que les ondes sont une « propriété publique » dont l’exploitation constitue un « privilège » qu’il accorde ou refuse en fonction de certains critères légaux. C’est tout le problème de l’allocation de ressources rares par l’État plutôt que par le marché – et on sait que la propriété privée des fréquences du spectre électromagnétique est une option faisable. Selon Milton Friedman, il est difficile d’imaginer comment la liberté d’expression pourrait être respectée dans un pays socialiste où l’État déciderait qui obtient du papier journal.

Dans la théorie économique marxiste, le contrôle de la liberté d’expression compte vraisemblablement parmi les moyens de l’État pour protéger la classe bourgeoise ou ses dirigeants, puisque c’est là la fonction générale de l’État capitaliste ou néo-capitaliste. 

Cette interprétation rejoint peut-être l’opinion de ceux qui croient que CHOI a été censurée parce qu’elle s’attaquait à l’establishment local.

Kâlisse, les marxiss! Manquait plus que ça! Comparer le contrôle de la radio au contrôle de la distribution du papier journal, c’est digne d’un étudiant de Secondaire II qui serait atteint d’abutyrotomofilogénie. Monter un tel bateau, c’est indigne d’un organisme qui se veut l’un des phares de l’intelligentsia de droite au Québec… Et quand le phare est éteint, les pinasses s’échouent, et les petits dretteux se noient dans cette idéologie un peu glauque.

Le papier journal relève de la propriété privée. Les ondes appartiennent au domaine public. L’IÉdM propose de laisser agir le marché; quelle pocheté! Le spectre de la bande MF n’est pas illimité; un diffuseur ne pourrait entrer en onde sur la fréquence 103,5 à Laval sans interférer avec la le signal diffusé depuis St-Jérôme sur la bande 103,7… Ne serait-ce que pour ce motif, la proposition de l’IÉdM est irrecevable.

Le 17 juillet 2004, un professeur de droit de l’information – Pierre Trudel – a signé un texte fort éclairant, dans Le Devoir [3]. Enfin, de la substance!

Lorsqu’une entreprise ne respecte pas les conditions liées à sa licence et que la situation persiste, le CRTC n’a d’autre choix que de ne pas la renouveler. 

Sinon, à quoi rime tout ce système des licences s’il n’y a pas d’obligation de les respecter?

Défendre la liberté d’expression, ce n’est pas s’opposer à toute décision qui a pour conséquence de sanctionner un discours qui contrevient aux lois. C’est plutôt s’assurer que les mécanismes par lesquels sont définies et appliquées les limites de la liberté — car il y a toujours des limites à toute liberté — sont équitables et procèdent de principes démocratiques.

Tout bref qu’il soit, cet extrait devrait – en principe – suffire à éclairer même les plus irréductibles parmi ces stulti asini [4] qui braient au nom de la droite. Mais c’est sans compter sur la mauvaise foi des ânes…

CHOI-FM n’a pas respecté ses obligations.

Le cadre réglementaire au soutien de la décision du CRTC

En vertu du paragraphe 3 (1) de la Loi – dont le texte apparaît au paragraphe 20 de la décision, la programmation des diffuseurs doit impérativement

(i) être variée et aussi large que possible en offrant à l’intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,

(iv) dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent 

NDLR: Des propos diffamatoires, injurieux ou haineux, ça n’entre pas dans la définition du mot OPINION.

En vertu du paragraphe 2(3) de la Loi, l’interprétation et l’application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme. N’en déplaise aux troglodytes, ce principe n’a en rien été bafoué.

Par application de l’alinéa 9(1)e), l’organisme peut suspendre ou révoquer une licence d’exploitation.

L’article 3 du règlement d’application, tel qu’adopté sous l’autorité. de l’article 10 de la Loi, interdit au titulaire de diffuser (alinéa 2b)

des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d’exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience physique ou mentale;

J’interromps ici l’énumération des textes légaux, tout en soulignant que le CRTC, comme tout tribunal administratif ou de droit commun, est lié par la Charte canadienne des droits et libertés.

Au paragraphe 27, le CRTC rappelle ce principe cardinal:

le droit à la liberté d’expression aux stations de radiodiffusion n’est pas absolu. […] ce droit est expressément limité par diverses lois visant à protéger d’autres valeurs qui sont chères.

… dont, ajouterai-je, le droit à la dignité dont jouissaient Sophie Chiasson et toutes les autres personnalités publiques diffamées ou injuriées par un animateur plus soucieux des cotes d’écoute et des revenus publicitaires qui en résultent, que du respect des convenances les plus élémentaires ET le respect des engagements souscrits par CHOI-FM.

Au paragraphe 31, le CRTC rappelle:

Dans l’exercice de son mandat, le Conseil a reconnu l’importance du principe de la liberté d’expression qui protège à la fois ceux qui s’expriment et ceux qui les écoutent. La liberté d’expression des radiodiffuseurs est donc contrebalancée par le droit des auditeurs à une programmation qui est conforme à la Loi et à la réglementation afférente. Le Conseil est d’avis que l’emploi de propos offensants qui risquent d’exposer une personne ou un groupe de personnes au mépris ou à la haine contrevient aux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion énoncés à l’article 3(1) de la Loi.

Et au paragraphe 42:

durant la période précédente de licence de cinq ans allant de 1997 à 2002, le Conseil avait reçu 47 plaintes à l’encontre de CHOI-FM. Par comparaison, le Conseil a reçu 45 plaintes au sujet du contenu verbal au cours des 17 premiers mois de la période courante de licence de la titulaire. Douze plaintes ont été référées au CCNR3 et 29 ont été examinées par le Conseil. Les plaintes allèguent que la conduite des animateurs en ondes a entraîné la diffusion d’attaques personnelles et la tenue de propos offensants, vulgaires, blasphématoires, malicieux, mensongers, discriminatoires et portant au ridicule des individus.

NDLR: 45 plaintes en 17 mois? Et pourtant, la nébuleuse libertarienne n’en pense pas moins que ce n’est pas CHOI-FM qui a abusé de ses privilèges et enfreint ses obligations; bin non, c’est le CRTC qui a abusé. Kâliss de marxiss, qu’ils disent!

Enfin, au paragraphe 45, cet aperçu d’une preuve aussi abondante qu’accablante dont disposait le CRTC au soutien de  sa décision:

Le Conseil note que, pour toutes les plaintes notées ci-après, sauf celles de M. Robert Gillet, de Cogeco Radio-TV, de Mme Sophie Chiasson et celles à l’égard de l’incitation au piratage de signaux de radiodiffusion, la titulaire lui a envoyé des enregistrements complets contenant les discussions et les propos faisant l’objet des plaintes, tel que demandé par le Conseil. Les plaintes de M. Gillet, de Cogeco Radio-TV et de Mme Chiasson contenaient, pour leur part, des centaines de pages de notes sténographiques. De plus, Mme Chiasson et M. Gillet ont fait parvenir au Conseil des cassettes contenant des propos diffusés par CHOI-FM à leur égard. Des copies de ces cassettes ont été envoyées à la titulaire. 

Les paragraphes 49 à 66 comportent une analyse détaillée des propos tenus en onde. Sophie Chiasson? Paragraphes 61 à 66, 71 à 73… Et au paragraphe 126, le CRTC rappelle tous les avertissements servis au titulaire de la licence. Genex, CHOI-FM et Jeff Fillion ont eu tout le temps nécessaire pour rectifier la situation. Ils ne l’ont pas fait.

Jean-Luc Proulx, alors âgé d’à peine 16 ans, a paradé dans les rues de Québec, pour protester contre ces mesures soit-disant staliniennes prises par le CRTC. Un peu plus, et il aurait paradé la couche aux fesses, avec son hochet et sa doudou!!!

Pitoyable d’ignorance en 2004. Pitoyable d’ignorance en 2011. Rien n’a changé.

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[1] – le dégonflé… pour avoir annoncé en grondes pompes une candidature à la mémairerie de Québec-Village, avant de reculer, à tout petits pas, en raison de la faiblesse évidente de sa candidature.

[2] – Abutyrotomofilogène – Littéralement « qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre ». Se dit d’un individu simplet.

[3] – Pierre Trudel tient aujourd’hui un blogue dans les journaux Québecor; après la tuerie à la Kalashnikov dans les locaux de Charlie-Hebdo en janvier 2015, on l’a vu régulièrement au Réseau de l’Information (le 24/60, notamment [ajout 7 février 2015]

[4] stulti asini, expression latine pour ânes stupides.