Pierre-Hugues et le projet de Loi C-10: une fable de Jean de La Fontaine

Pierre-Hugues, en sa tête ayant un Projet de Loi
Bien posé sur son coussinet
Entend se présenter sans encombre devant l’électorat.
« J’aurai, en le chantant, du crédit bel et bon
Et commanderai qu’on serve en notre Table  
Non point la Vérité et les faits, mais une Fable
Que répéter je devrai, pour endormir le troupeau. 
Pierre-Hugues saute à cet instant, par sa Foi transporté
Sur le dos des plaideurs, qui, fort justement irrités
Le mensonge s’empressent de dénoncer.
Adieu veau, vache, cochon et limousine de ministre.
La morale de cette triste histoire? Tant va la cruche
À l’eau qu’à la fin elle se casse
Et puisque tout le monde en jase
La tête entre les jambes, Pierre-Hugues se tasse.

Librement inspiré – au prix de quelques raccourcis et d’autant de libertés qu’on me pardonnera – de Jean de La Fontaine: La laitière et le pot au lait.

Perrette, sur sa tête ayant un pot de lait 
           Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.

J’aurai, le revendant, de l’argent bel et bon.
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable, 
Vu le prix dont il est, une vache et son veau, 
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? » 
Perrette, là-dessus, saute aussi, transportée: 
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.

Est-ce de l’ignorance? De la mauvaise foi?

Le 17 novembre, sur les ondes de Radio-Canada, le Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, à qui le titre d’Honorable sied décidément de moins en moins, a lancé contre le Barreau du Québec et ses membres des accusations aussi lourdes que sans fondement: l’opposition du Barreau, affirme-t-il du haut de sa chaire sénatoriale, s’explique par le fait que l’organisme défend ses membres comme une chatte défend ses p’tits. Et il ajoute que 80% des membres du Barreau sont des avocats de la défense!

Or ce n’est pas 80%, mais… 5%. On est loin du compte! Que ce clown grotesque et si mal informé soit le porte-parole du gouvernement Harper en cette matière, ça en dit long sur le respect qu’a ce même gouvernement à l’égard de la qualité de ses prémisses. Et ça n’est pas très rassurant. Non seulement pour la gauche, mais pour l’ensemble des Canadiens. Ce gouvernement se laisse guider par des aveugles.

Le bonhomme s’enlise dans son lisier putride et se couvre de ridicule.
Ce faisant, ce sont cinq institutions / groupes qui en prennent plein la gueule. Au premier chef, le Sénat lui-même, dont je m’étonne, malgré l’environnement politique dans lequel nous vivons, que son Président ne se soit pas levé et tenu debout pour dénoncer ce bouffon imbécile, dont les mensonges et l’absence de contrition jettent le discrédit sur la Chambre Haute et sur ses membres, actuels et passés.

Au second chef, le Gouvernement du Québec, reçoit un uppercut téléguidé par le bureau de Stephen Harper.

Au troisième chef, le Premier-Ministre du Canada, trop lâche pour présenter au nom de son gouvernement les excuses que commandent les circonstances.

En quatrième lieu, le Barreau du Québec, dont la mission – inscrite dans sa Loi constitutive – n’est PAS de protéger ses membres mais de protéger le public. Contre ses gouvernements, lorsque la situation le commande. Ou contre ses propres membres. Comme c’est le cas, d’ailleurs, de tous les ordres professionnels.

Enfin, l’ensemble des avocats (dont je ne suis pas), et plus particulièrement, l’association des avocats de la défense, qui a d’ailleurs réagi vigoureusement ce 20 novembre, sur les ondes du Réseau de l’Information .

En fait, je trouve que ça n’a pas sa place. M. Boisvenu n’est pas élu. Il est placé là spécifiquement par le Parti conservateur pour mettre de l’avant son propre agenda. Je crois que s’il veut faire du lobbying, qu’il s’enregistre auprès des lobbyistes parce que, pour l’instant, il n’est pas élu et il ne parle pas au nom de la population. Il parle pour lui.

Un ancien Bâtonnier, Me Gilles Ouimet, s’est montré tout aussi cinglant:

J’ai toujours eu énormément de sympathie pour M. Boisvenu, assure-t-il. Mais malheureusement ce n’est pas une question émotive. On doit comme société veiller à améliorer notre système de justice […] Le système de justice c’est comme une auto. Cette auto-là a besoin de mises au point. Les conservateurs nous proposent de la repeinturer. »

Et comment réagit Boisvenu? Plus la tête enfle, plus le nombre des neurones diminue. Manifestement, l’homme ne se croit pas investi d’une mission divine, comme certains pourraient le croire. Non. IL SE PREND POUR DIEU LE PÈRE. Mais c’est comme une tarte qu’il réagit, en réitérant sa position sans même tenir compte du démenti apporté par le Barreau. Crédibilité? Nulle! Capital de sympathie? Il est en train de le perdre. L’erreur est ici tellement grossière qu’une rétractation s’impose. Mais quand on a affaires à Dieu le père…

Le public réagit:

Ce commentaire d’un certain Pierre Lagasse suffira (20 novembre, 20h24):

« Il existe une science qui s’appelle la statistique. Elle montre hors de tout doute que l’approche québécois en matière de criminalté est plus efficace que celle préconisée par M. Harper et son gouvernement. « 

Même les élus républicains (eh oui: républicains! ) du Texas (double eh oui: du Texas!!) l’ont compris. Après des décennies à alourdir les peines et à viser la répression à tout prix, ils ont réalisé que la criminalité ne faisait que monter en flèche (le temps de construire les 1 300 dernières prisons et elles étaient déjà insuffisantes: 1 adulte sur 20 étaient derrière les barreaux).
La réalité économique les a rattrapé. Pour sauver de l’argent, ils se sont mis à la réhabilitation. Résultat: baisse de la criminalité de 12,8%.

Drette dans le kisser!

La lettre adressée au nom du Barreau par son Directeur-Général: 

Je rappelle, pour ceux qui pourraient l’ignorer, que Pierre-Hugues Boisvenu fréquentait le Collège de Rouyn en 1967. De quoi me remplir de fierté.

Le 18 novembre 2011

Monsieur le Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu
Le Sénat du Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0A4

Monsieur le Sénateur,

Je me permets de vous écrire à la suite de votre passage, hier matin sur les ondes de Radio-Canada, à l’émission C’est bien meilleur le matin.

Au cours de votre entrevue, vous avez, devant un auditoire de plusieurs milliers de personnes, invoqué le fait que nos interventions dans le cadre de l’étude du projet de loi C-10 maintenant sous bâillon étaient motivées par des intérêts corporatistes. Plus précisément, vous avez dit : « Le Barreau comprend à peu près 80 % d’avocats de la défense. Ces gens-là disent qu’ils sont contre les projets de loi qui affectent leur clientèle et c’est tout à fait normal. Moi, je défends au Sénat non pas les intérêts des criminels, mais ceux des victimes… » À titre de directeur général du Barreau du Québec, il est de mon devoir de vous dire que vous avez induit ces auditeurs en erreur.

Selon le Barreau, le sénateur Boisvenu a induit les auditeurs en erreur lors de son passage hier à l’émission de radio C’est bien meilleur le matin

Le Barreau compte quelque 24 000 membres. Parmi ces membres, seulement 5 % environ sont des avocats plaidant en Cour dans des dossiers en matière criminelle. La diversité des pratiques chez nos membres est vaste : avocats en entreprise, avocats au gouvernement, avocats de la pratique privée exerçant dans plus de 140 domaines de droit comme le droit des affaires, le droit civil, le droit familial et les avocats défenseurs des droits humains, etc.

Nos interventions, effectuées par l’entremise du bâtonnier, reflètent la position de notre ordre professionnel. Cette position est recommandée aux instances de l’Ordre par un comité du Barreau du Québec composé de procureurs de la couronne, de professeurs d’université et d’avocats de la défense tous experts en matière de droit criminel qui ont analysé le projet de loi à travers la lunette de la mission de protection du public de l’Ordre, mais aussi en regard du respect de la règle de droit, de l’environnement et des statistiques disponibles.

Notre position en matière de droit criminel rejoint celle du ministre de la Justice du Québec, et vise à favoriser les moyens de prévention et de réhabilitation plutôt qu’une approche fondée sur la répression aveugle. La réhabilitation, croit le Barreau, est aussi un moyen de protection pour la population, et nous croyons qu’il est important de rappeler ce choix de société à la population.

Notre position est détaillée, rigoureuse et précise. Nous respectons le fait que vous ne la partagiez pas, mais nous nous indignons que vous en fassiez une interprétation corporatiste et, de surcroît, que vous la présentiez dans un contexte erroné. La légitimité et la crédibilité de notre ordre professionnel ne peuvent ainsi être mises en doute publiquement. C’est une offense au système professionnel et aux citoyens qui vous écoutent et qui placent leur confiance en vous.

Veuillez accepter, Monsieur le Sénateur, l’expression de mes salutations.

Le directeur général,

Claude Provencher, L.L.B., MBA