Dans un premier temps, les cigarettiers associent leur produit à la joie de vivre, à la liberté, à la volupté, au pouvoir de séduction, au raffinement… Ils ont insisté auprès des magnats du cinéma pour que les stars emboucanent d’abord le grand écran, puis le petit. Et puis, grassement rémunérées pour ce faire, les stars ont fait l’éloge du tabac et ainsi emboucané le cerveau de leurs admirateurs (trices). Tout comme certains médecins. Mais qui sait, c’était peut-être des acteurs déguisés en docteurs?
Les cigarettiers ont associé leur nom à la culture et au sport. Mais jamais à l’industrie du cercueil… Créer et maintenir le lien subliminal entre l’esprit d’aveture, l’excellence sportive, le dépassement de soi, la camaraderie – voilà de quoi stimuler les ventes chez les jeunes. Efficace. Mortellement efficace!
Pour l’industrie du tabac, la R&D – recherche et développement – consistait, non pas à rendre le produit moins nocif, mais à développer l’accoutumance et à rendre la cigarette plus addictive, en y ajoutant des produits cancérigènes. En prime, la recherche destinée à mieux hameçonner le client, ça sert à réduire la charge fiscale. Merveilleux!
Et puis, c’est la catastrophe. Jeffrey Wigand en a assez, et il déballe. Wigand, c’est le type qui a inspiré le film de Michael Mann, The Insider. L’initié, au Québec [1]. Wigand était alors vice-président à la recherche et au développement, chez un important cigarettier, Brown & Williamson, une filiale de British American Tobacco.
Jeffrey Wigand
Wigand viendra témoigner dans cet impressionnant recours collectif de 27 milliards de dollars qui débute à Montréal… et dont l’audition devrait se poursuivre sur 2 ans.
Le réseau CBS devait diffuser en 1994 une entrevue avec Wigand, dans le cadre de son émission-phare, Sixty minutes; Westinghouse, alors intéressée à acquérir CBS, fit objection; l’entrevue a finalement été diffusée, le 4 février 1996, après que le Wall Street Journal eut lui-même publié la transcription d’un témoignage rendu par le Dr Wigand en novembre 1995 (poursuite intentée par l’État du Mississipi contre un cigarettier). On e trouvera ici la tanscription intégrale du Sixty Minutes tel que diffusé en 1996.
C’est l’article publié quelques mois plus tard dans le Vanity Fair par la journaliste Marie Brenner qui a inspiré le scénario du film. Cet article est disponible ici, en version intégrale.
Le recours collectif à Montréal
She’s back… and she now speaks tobacco!
C’est d’ailleurs à titre de procureur de la défenderesse Imperial Tobacco qu’elle a livré devant les caméras ce vibrant plaidoyer, le 12 mars 2012:
Ça fait de nombreuses années – 40 ou 50 ans – que les dangers reliés au tabagisme sont connus.
Et ce que nous disons c’est que les gens qui décident de commencer à fumer OU QUI DÉCIDENT DE CONTINUER À FUMER doivent assumer les conséquences d’un choix qu’ils font puisque personne ne peut dire aujourd’hui qu’il ignore le danger qui peut être associé au tabagisme
Alors ça c’est un élément de notre défense et l’autre grand volet de notre défense c’est que tout ce que Imperial Tobacco a fait, elle l’a fait de façon légale, en grande partie sous la direction du gouvernement Canadien.
Dans un procès civil, les belligérants doivent d’abord alléguer les faits qu’ils entendent mettre en preuve. Je prends donc pour acquis que Me Côté n’a rien dit qui ne soit déjà contenu dans les nombreux paragraphes de la contestation écrite.
Si la défense des cigarettiers ne repose que sur ces arguments merdiques, désolé, mais ça ne vaut pas cher!
Et de un, il y a 40 ou 50 ans, il n’y a que les fabricants de cigarettes qui savaient qu’ils y incorporaient des substances destinées à créer la dépendance. De cela, bien sûr, ils n’allaient pas faire étalage! Et il n’y a que ces cigarettiers et les laborantins à qui ils commandaient (parfois) des études qui savaient quels étaient ces additifs, et en quoi ils étaient si nocifs. C’est quand même pas Madame Tartempion de la rue Panet, à Montréal, qui allait financer des études sur le tabac! Ni Monsieur Chose, du quartier Limoilou.
S’ils fumaient deux paquets de Craven A, de Rothman’s ou de Du Maurier par jour en 1960, ils préféraient investir dans leur plaisir de savourer, plutôt que dans une analyse de laboratoire. Et s’ils n’étaient pas fumeurs, pourquoi se seraient-ils préoccupés d’un produit endossé par les acteurs et par les docteurs?
Et de deux, si le danger du tabac est aussi bien documenté en 2012, c’est parce que, à la suite de procès qu’ils ont perdus aux USA, les cigarettiers ont dû rendre publics des millions de pages de documentation que jusque là ils avaient soustraits aux regards inquisiteurs.
Et de trois, les fabricants ont toujours été opposés au message qu’ils doivent aujourd’hui imprimer sur les paquets de cigarettes; ils ont toujours affirmé que ces messages véhiculaient exagérations, voire des faussetés, et ils ont toujours clamé qu’ils en subissaient préjudice. Me Côté essaie-t-elle de plaider que sa cliente – comme les autres défenderesses – a menti au public et au gouvernement? Nul ne saurait pourtant invoquer sa propre turpitude, même par procureur interposé!
Et de quatre, comment un cigarettier qui a sciemment et abusivement incorporé à ses produits des additifs destinés à favoriser l’addiction peut-il aujourd’hui plaider que les fumeurs sont responsables de leur incapacité à mettre fin à leur habitude de fumer?
Et de cinq, dans l’hypothèse où tous les membres des recours collectifs seraient bien informés en 2012, qu’en était-il au moment où ils sont devenus accros de la cigarette? Et, par « bien informés », Me Côté infère-t-elle que chacun des fumeurs (ou une partie d’entre eux) savait, au moment de fumer sa première puff, que le fabricant avait incorporé des additifs destinés à l’empêcher de décrocher du tabac? Est-ce que sa cliente est prête à reconnaître qu’elle a sciemment incorporé certains additifs destinés à hameçonner les consommateurs et à les empêcher de cesser de fumer? Si elle en fait l’aveu, et s’il est en même temps démontré que sa cliente SAVAIT que la cigarette conduit vers le corbillard, ne devrait-on pas ici parler de négligence criminelle, pour ne pas dire de meurtre?
Et de six, l’argument « mise en marché en toute légalité » ne libère pas les cigarettiers de la responsabilité leur résultant d’une faute lourde. Ce n’est pas là l’opinion d’un obscur juriste de l’arrière pays; c’est l’état du droit. Point barre! Or mettre un marché un produit tout en sachant quelles en sont les conséquences, c’est une faute lourde. Ce n’est pas pour rien que l’industrie du tabac s’est toujours montrée si réticente (quel euphémisme!) à rendre publique l’information qu’elle détenait; elle savait, au contraire, que cette information était susceptible de causer sa perte!
Enfin, affirmer sans rire que c’est le gouvernement canadien qui gérait le trafic, c’est un mensonge éhonté. « en grande partie sous la direction du gouvernement Canadien »: Cé-tu une joke? Se conformer sans enthousiasme aux obligations créées par la Loi, ça n’est pas agir sous la direction du gouvernement Canadien. Surtout quand on a toujours l’air de nier l’à-propos de cette législation!
Ce genre d’arguments-bidon, ça ne justifie certainement pas le taux horaire facturé par le bureau de Me Côté. On ne parle pas de 60$ l’heure, là là… Faudrait plutôt multiplier par 8 ou 10, sinon davantage.
______________
[1] Révélations, ailleurs dans le monde francophone.
J’aurais pu ajouter la liste des arguments que fera valoir la coalition des cigarettiers en défense à chacune des réclamations individuelles.
Et j’aurais pu parler de la difficulté qu’avaient éprouvée l’équipe derrière le recours collectif contre les fabricants de la mousse isolante d’urée formaldéhyde (MIUF). Les réclamants n’avaient pas réussi à établir par une preuve prépondérante l’existence d’un lien de causalité entre la MIUF et les dommages (dégradation de l’état de santé, etc).
Le lien entre le cancer des poumons et certaines autres maladies, d’une part, et d’autre part l’usage de la cigarette sera peut-petre plus facile à établir at large mais chaque victime qui réclame devra faire la preuve d’un lien entre SON usage de la cigarette [fréquence, durée, inhalation ou non, autres habitudes de vie ou facteurs de risque particuliers à un mineur (les mines!), par exemple].
À supposer que le recours collectif soit maintenu, il est loin d’être certain que chaque victime pourra satisfaire son fardeau individuel de preuve.
= = =
trouvé ceci: [HYPERLIEN]:
Petite correction à apporter: le cinéaste qui a réalisé le film THE INSIDER sur le cas Wigand à 60 Minutes, est Michael Mann, et non pas James Mann. 😉
Pour le reste, surtout pour avoir suivi moi-même l’affaire Wigand à l’époque, je suis entièrement d’accord avec tout vos points dans cette affaire de recours collectif et des paroles peu édifiantes de l’avocate défendant les compagnies de tabac.
Le fumiste Du Haine, pendant ce temps dans les pages du Jounal de Mourial, qui publiait également son dessin de monstre tentaculaire étatique pour faire sa sale propagande démagogique (négligeant de parler de son propre monstre tentaculaire qu’est l’empire Quebecor), continue de se caler sur cette question , en confondant actionnaires et contribuables. Il a beau parler sans filtres, il s’y connait en écran de fumée pour lecteurs sots.
Ah maître Côté… Elle était passée à l’émission de débat de Télé-Québec, La Joute. Eh qu’elle me tapait sur les nerfs. L’émission n’avait jamais reçu tant de vote envoyés par téléphones cellulaires… Non, ce n’était pas des étudiants ( 😉 ) , mais sûrement des collègues avocats. Et ses fans dans le publics n’arrêtaient pas de huer les autres ou de faire du bruit pour les déranger. Cela m’en a appris beaucoup sur l’éthique de ses fans (pour ne pas dire des avocats!). Et Stephan Bureau qui laissait faire…
Chu-tu hors d’ordre? 😉
@Darwin
Nous étions donc deux à regarder La Joute? J’aimais bien ce genre de débats, où certains des participants choisissaient (parfois) de camper un personnage et feignaient de défendre une position qui n’était pas vraiment la leur. Ça me rappelait mon job de plaideur. 😉
Je me souviens du passage de Me Côté, qui ne correspond pas vraiment à ma perception d’un plaideur. Pour ce qui est de l’image qu’elle projette des avocats, je fais appel à mon privilège de conserver le silence.
Cela dit, La Joute consistait à essayer de séduire aussi bien le téléspectateur que l’auditoire présent, par l’intelligence et l’à-propos des réparties et arguments. Tenter de gagner par l’humour et l’intelligence de ses réparties et arguments.
J’avais eu l’impression que Me Côté n’avait pas considéré la Joute comme un jeu, mais comme une compétition d’où le fair play était absent. Comme si elle avait eu peur de perdre et de nuire ainsi à sa réputation de plaideur.
En principe, les plaideurs de profession partaient avec une longueur d’avance: ils ont l’habitude des effets de toge et de la séduction du juge ou des jurés. J’aurais bien aimé qu’on m’y invite, d’ailleurs!
Disons que Me C. était passée très loin de ce que moi j’attendais des participants.
@ Papitibi
«Cela dit, La Joute consistait à essayer de séduire aussi bien le téléspectateur que l’auditoire présent, par l’intelligence et l’à-propos des réparties et arguments»
C’était souvent le cas, mais pas toujours. Avec certains invités, il était clair que le résultat du vote dépendait davantage de l’organisation que de la qualité des plaidoyers ou des arguments. Ce fut le cas avec Mme Côté. C’est d’ailleurs ce que je voulais dire par « L’émission n’avait jamais reçu tant de vote envoyés par téléphones cellulaires… ». Ce fut la même chose avec la reine de la radio poubelle du Saguenay, Myriam Ségal (je ne me souvenais plus de son nom, Google m’a aidé…).
En passant, nous écoutions cette émission à trois, ce qui correspond au nombre d’ordis chez nous… Et nous votions avec chacun notre ordi!
Dans ce cas, comptez un quatrième qui regardait cette émission et qui y votait par ordinateur. 😉
Papi
Ce n’est pas un sujet qui me captive mais j’ai lu attentivement et je dois dire que le tout est très bien ficelé…
Vous vous méritez cette jolie pub Papi!
Oups! Ça n’a pas marché, c’était une image prise ici
http://www.advertisingtimes.fr/2010/07/deux-siecles-de-tabac-en-150-affiches.html
Ma préférée!
@Koval
Ni le tabac ni le tabagisme ne me touchent, ne serait-ce que parce que j’ai cessé de fumer avant la naissance de la majorité des Libertariens!
Par contre, ma fille a commencé à fumer il y a 20 ans… et elle n’a pas encore 30 ans! Non, je savais pas. « Dis-le pas à papa, ce sera notre secret ».
Big deal! J’ai aussi un fils qui fume… Pour lui aussi, ça fait plus de 20 ans.
Quand je fumais, par contre, je fumais HARD: des gauloises bleues et des Gitanes, alors fabriquées par Bastos.
« Quand je fumais, par contre, je fumais HARD: des gauloises bleues et des Gitanes, alors fabriquées par Bastos. »
Ça j’ai du respect pour ça. Avez vous déjà bu? Vous allez un peu sauté.
Donc votre fille a commencé à fumer à 8-9 ans? Précoce la petite.
« Warren peace dit papitibi »
Votre surnom c’est warren peace et vous avez piqué le pseudo d’un autre type?
@Vexxeux
T’as tout compris. C’est la femme d’un de mes chums – Hilda, quelle s’appelle – qui m’en a fait la suggestion.
@ papitibi
J’ai lu il y a longtemps que même si les Gitanes était fortes au goût, qu’elles étaient moins dommageables pour les poumons.
«des gauloises bleues et des Gitanes»
J’ai déjà fumé des Gitanes en rouleuses. C’était moins dur pour la gorge que les toutes faites.
Ça me rappelle ce lien au sujet du docteur Robert Proctor qui a fait une petite compil des pages évoquées dans votre 2ème point.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/02/25/les-conspirateurs-du-tabac_1647738_3224.html
Où l’on apprend que des scientifiques allemands ont établi le lien entre cancer et tabac dans les années 20, et que l’industrie des cigarettiers l’a établi en 1953.
Où l’on apprend que plus de 80% des fumeurs sont dépendants (alors que seuls 3% des buveurs d’alcool en sont dépendants).
Édifiant.