Egypt has a dilemma: its politics are dominated by democrats who are not liberals and liberals who are not democrats. – Samer S. Shehata, professeur agrégé en études internationales, University of Oklahoma, 2 juillet (lettre ouverte au NY Times)
La formule est percutante et elle traduit bien le dilemme moral d’un pays où l’Armée doit protéger le peuple contre un Frère Musulman qui avait pourtant été élu à la régulière. Un pays où les démocrates se collent à un dictateur et où les progressistes en appellent à l’Armée. Un pays où les progressistes répudient le président qu’ils avaient contribué à élire contre un candidat issu de la mouvance Moubarak, dont il avait été le Premier-Ministre.
Le pays de tous les paradoxes…
Washington n’a jamais manqué de dénoncer l’absence de démocratie chez les Arabes; ça lui aura permis de diaboliser ces barbares et, en même temps, ça lui aura permis de justifier son soutien à Israël, ce fer-de-lance de la démocratie au Moyen-Orient et rempart de notre grande civilisation occidentale contre ces béotiens sanguinaires que sont les Musulmans.
Tous unis contre Hosni Moubarak! Toutes tendances réunies – Frères Musulmans, islamistes radicaux (salafistes), séculiers, démocrates et progressistes, les masses égyptiennes ont renversé ce vieux bouc soutenu à tour de bras par Washington. Le 30 avril 2011, Mohamed Morsi prend la tête du nouveau Parti de la Liberté et de la Justice. Les Frères Musulmans ramollissent leur discours et adressent à leurs adversaires traditionnels des signes rassurants, en proposant par exemple aux progressistes de participer à la rédaction de la future Constitution ou encore en désignent un Copte (chrétien) à la vice-présidence du Parti. Mais les progressistes ont senti le coup-fourré et quitté la Commission consultative; la nouvelle Constitution est donc l’oeuvre des seuls islamistes.
«Cette Constitution n’a pas de valeur, pas d’avenir, elle sera à jeter dans les poubelles de l’Histoire», a déclaré à la télévision, Mohammed ElBaradei, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et figure de l’opposition «libérale» c’est-à-dire anti-islamiste. – Pierre Prier, Le Figaro, 30 novembre 2012
Et compte tenu du mode de scrutin, ils étaient parvenus à se donner une faible majorité – 51%.
Bon prix. Bonne coupe. Bonne propagande…
Mais même vêtu d’un complet trois-pièces tout à fait identique à ce que l’on pourrait trouver chez Moore’s, Mohamed Morsi demeurait un authentique Frère Musulman; une fois élu, il a rapidement oublié que bon nombre de ceux qui l’avaient porté au pouvoir se méfient de la Muslim Brotherhood comme de la peste! Il aura gouverné comme un authentique Musulman de la mouvance fraternelle. Comme un Frère Musulman. Comme s’il ne devait pas ÉGALEMENT son élection à ces progressistes et séculiers.
La grogne a donc monté. El l’Armée a déposé le pharaon Mohamed.
Mais l’Armée, est-ce VRAIMENT un progrès? L’Armée prend-elle le pouvoir pour elle-même, ou s’en empare-t-elle aux seules fins de le remettre entre les mains du peuple quand le calme sera revenu?
D’après le quotidien Al-Ahram, pas moins de 300 mandats d’arrêt ont été lancés contre des membres des Frères musulmans. Des responsables politiques de l’organisation, dont Saad El-Katatni, le chef du Parti liberté et justice (PLJ), et l’adjoint du guide suprême, Rached Bayoumi, ont d’ores et déjà été interpellés.
Les autorités militaires ont également fait fermer trois chaînes de télévision favorables à Mohamed Morsi, dont Egypt25, la chaîne officielle des Frères. Selon l’agence MENA, les directeurs de cette dernière ont été arrêtés peu après l’annonce de la destitution. Les forces de sécurité ont également fait irruption au siège de l’antenne égyptienne d’Al-Jazira, dont cinq journalistes ont été emmenés. Quatre d’entre eux ont ensuite été libérés. – Le Monde, 4 juillet 2007
Je ne saurais vraiment me réjouir de ce muselage de la presse, fût-il ciblé, fût-il temporaire. la démocratie, c’est AUSSI une presse libre, et forte.
Le président du Conseil Constitutionnel, M. Adlii Mansour – un modéré reconnu pour sa droiture intellectuelle – a prêté serment à titre de nouveau président. Excellent choix, à première vue et à la condition qu’il ne serve pas de pantin et de caution morale à une Armée qui aurait – je le dis au conditionnel – profité de (sinon suscité?) la grogne populaire pour reprendre le contrôle de l’état.
« Je m’engage à préserver le système de la République, à respecter la Constitution et la loi et à protéger les intérêts du peuple », a déclaré le nouveau chef de l’Etat lors d’une brève cérémonie au siège du Conseil constitutionnel. Les officiels présents à la cérémonie ont accueilli sa déclaration par des applaudissements chaleureux.
M. Mansour, 67 ans, devrait diriger un gouvernement de transition doté des « pleins pouvoirs » jusqu’à l’organisation d’une présidentielle anticipée et d’élections législatives, a annoncé l’armée mercredi, en ne donnant aucune précision sur la durée de la période de transition. – Le Monde, 4 juillet 2013
Au Canada?
Je me souvenions d’un complot ourdi il y a quelques années par un trio de dangereux révolutionnaires: Stéphane Dion, Jack Layton et Gilles Duceppe! Mais contrairement à l’Égypte, le Canada c’est la plus meilleure démocratie du monde et Stephen Harper a pu se contenter de dissoudre un Parlement (par ailleurs complètement inutile puisque jamais consulté) pour mettre fin à la menace de coup d’état!
Vive la Canada… Nous autres, nos pharaons, on les respecte!
Si les frères musulmans ne sont pas ligotés, est-ce qu’ils gagnent la prochaine élection? La dernière fois Morsi avait eu 14 millions de votes contre 12 pour l’autre, je crois. Considérant le mécontentement contre les FM, et pas juste chez les séculiers, une victoire de l’autre camps me semble possible.
Je ne sais pas ce qu’aurait pu être le rôle de l’armée. S’ils n’interviennent pas, c’est la paralysie du pays pour un bout et peut-être des affrontements. Les manifestants n’auraient pas abandonner et ils avaient le nombre pour eux, pour légitimer leurs demandes. Et ils demandaient une nouvelle élection. C’est difficile d’imaginer, les ayant vu en action depuis 2 ans, que les manifestants auraient négocier avec les FM pour les laisser au pouvoir.
Si l’armée n’intervient pas, le résultat aurait probablement été le même mais ça aurait pris du temps, la rancoeur des FM aurait été la même, la différence c’est l’armée qui n’aurait pas bénéficier de son statut d’arbitre qu’elle s’est arrogé. Ils n’entendent pas céder leurs prérogatives de disposer si ça ne fait pas leur affaire.
J’aime la caricature, Papi.
@ Spritzer
La situation politique en Égypte, ce sera pour tous les théoriciens de la démocratie comme la quadrature du cercle. Ou un catch 22. Damned if you do, damned if you don’t.
J’ai hésité avant de renoncer d’intégrer à ce billet un édito du Washington Post, qu’on peut retrouver [ICI].
Je suis moi-même ambivalent. D’un côté, je suis démocrate – dans le sens socio-politique du terme; en ce sens, tout ce qui peut ressembler à la fin abrupte d’un régime élu dans le cadre d’élections à la régulière, ça me répugne. D’un autre côté, je suis également lucide – en ce sens que je vois clair dans le glissement de la Muslim Brotherhood vers la Charia – et progressiste, en ce sens que tout ce qui peut ressembler à un mariage de l’État et de la religion (quelle qu’elle soit) me répugne.
Les Frères Musulmans n’ont pas volé l’élection – enfin, pas que je sache – mais ils en ont détourné les résultats: quand il est resté deux candidats à la présidence, les socialistes, progressistes, communistes, athées et séculiers avaient le choix entre un candidat associé de près au régime Moubarak et un Muslim Brother qui semblait vouloir montrer patte blanche. Alors ils ont voté Morsi.
Aujourd’hui, ils répudient leur choix. Ou serait-ce l’Armée qui les y a amenés subtilement? Il y a eu des frictions entre l’Armée et Morsi. L’armée pourrait-elle avoir fomenté la révolte du bon peuple? C’est une hypothèse que je ne saurais rejeter…
Quel message ce coup d’État envoie-t-il? Que l’Armée est au dessus des lois et de la constitution? Que si l’Armée n’aime pas les orientations d’un gouvernement démocratiquement élu elle se réserve le droit de le remplacer?
L’Armée SEMBLE ici aller dans le même sens que la majorité du peuple… pour peu que nous puissions en juger avec l’info qu’on nous transmet. Mais forte de ce précédent, qu’est-ce qui empêcherait l’Armée de renverser un président sur la seule basede son programme politique, quel qu’il soit? Dans cette perspective, pourquoi perdre son temps à élire un gouvernement quand les généraux peuvent mettre une junte militaire au pouvoir et faire du pays une dictature?
Un état de droit, c’est fragile. La notion en est fragile. Et un état de droit, c’est pas compatible avec l’arbitraire.
L’arbitraire, ici, c’est l’Armée. Même si sa décision de renverser Morsi semble à première vue conforme à mes aspirations progressistes…
C’est comme si
Le gros du noeud est que les campagne sont totalement analphabète et ultra religieuse.
Donc no campagnard illéttré voie les frères musulmans comme les représentant de dieux.
On dirrais bien que l’instruction et la démocracie sont indissociable.
@ Papitibi et al.
On dirait bien que l’armée ne peut pas sentir les frères, La vieille haine atavique, mais aussi une concurrence économique à ce que j’ai lu. C’est certain qu’ils préfèrent un gouvernement laïque, mais j’imagine qu’ils s’accommoderait d’une représentation au pouvoir des islamistes, peut-être dans le domaine social…
Si le prochain gouvernement est de l’opposition, il aura la paix avec l’armée tant qu’ils ne s’attaqueront pas trop durement aux privilèges des militaires. Ne pas fermer l’ambassade israélienne est un autre point qui devrait frustrer la population.
Peut-être pas des éléments pour repartir une révolution si l’économie s’améliore et qu’une paix sociale revient, mais dans le contexte actuel et avec ce qui se passe en Palestine, c’est une question qui va rester.
J’ai une pensée pour les Syriens.
-Un bon texte de Juan Cole publié mercredi qui explique les événements de la veille.
On Tuesday night Morsi gave a defiant speech, praising as “great” the controversial constitution that passed last December by a little over 60 percent of the vote, with only a 30 percent turnout. That constitution is rejected by most Egyptians as having theocratic implications and as the fruit of a non-consensual drafting process in which the Muslim Brotherhood and Salafi fundamentalists had undue representation. Morsi used the word “legitimacy” 72 times in a short speech, underlining that he was democratically elected and saying that he has a responsibility to stay in office.
I have to say that the brevity and completely uncompromising character of the speech surprised me. Morsi did not offer to revise the hated constitution. He did not offer to form a government of national unity, with cabinet members from the opposition parties.
-Son coup de grâce. Plus loin Cole ajoute
Morsi had said on Monday that Obama was supporting him as the legitimately elected president of Egypt. Morsi either misunderstood or misrepresented the American president.
http://www.juancole.com/2013/07/countdown-meltdown-refuses.html
-Ça s’pourrais ben que les Américains aient laissé croire à Morsi qu’ils le soutenaient pour que l’autre fasse l’intransigeant et se mette la corde au cou. Plus j’y pense, plus j’y crois, dans la plus pure tradition yankee.
-Sur un autre site, on rapporte
Army concern about the way President Mohamed Morsy was governing Egypt reached tipping point when the head of state attended a rally packed with hardline fellow Islamists calling for holy war in Syria, military sources said.
At the June 15 rally, Sunni Muslim clerics used the word « infidels » to denounce both the Shi’ites fighting to protect Syrian President Bashar al-Assad and the non-Islamists that oppose Morsy at home.
Morsy himself called for foreign intervention in Syria against Assad, leading to a veiled rebuke from the army, which issued an apparently bland but sharp-edged statement the next day stressing that its only role was guarding Egypt’s borders.
http://arabist.net/blog/2013/7/3/morsy-role-at-syria-rally-seen-as-tipping-point-for-egypt-army#comments-51d3e6f5e4b0fc82c7b90bc9
C’est facile d’imaginer un scénario où les Américains l’auraient manipuler pour qu’il brasse le pot avant d’être déchu, ça peut toujours servir. Mais je me fais sans doute des imaginations.., N’empêche que son appel à la guerre sainte en Syrie et son appellation d’infidèles pour ses opposants est de mauvais augure. À noter aussi que les faits rapportés le sont par des sources militaires, je ne sais pas si d’autres sources les ont rapportés. Cole n’en parle pas en tout cas.
« Je me souvenions d’un complot ourdi il y a quelques années par un trio de dangereux révolutionnaires: Stéphane Dion, Jack Layton et Gilles Duceppe! Mais contrairement à l’Égypte, le Canada c’est la plus meilleure démocratie du monde et Stephen Harper a pu se contenter de dissoudre un Parlement (par ailleurs complètement inutile puisque jamais consulté) pour mettre fin à la menace de coup d’état! »
Non seulement abrogea-t-il le Parlement, mais fut même quémander la légitimation de son gouvernement auprès de la souveraine fantoche d’un état étranger. Et les Canadians de clamer « God save the Queen! »
La politique internationale m’intéresse moins par les effet qu’elle ne manque pas d’avoir sur les citoyennes et les citoyens directement concernés que pour ce qu’elle nous offre comme perspective comparative à notre propre réalité politique. Notre impuissance ayant progressivement transformé le courant de sympathie en un courant d’empathie…
Dans cette perspective: constater qu’en Égypte la Constitution, en ce qu’elle devrait représenter le constitutif des valeurs communes de la société Égyptienne, est incapable d’établir un réel consensus et est décriée comme tel… Ceci a une résonance toute particulière pour le Québécois que je suis; dont la province et le parlement n’ont toujours pas signé la Constitution Canadienne et ce plus de 30 ans après son rapatriement unilatéral, rapatriement, qui se serait en prime fait en violation du principe de séparation des pouvoirs juridique et exécutif comme nous l’apprenions récemment de Londres… Si la Constitution Égyptienne est bonne pour les poubelles de l’histoire, ne pourrait-on pas au moins s’interroger sur la qualité réelle de la Constitution Canadienne, tant par le fond que par la forme…
Par ailleurs, le chiffre de 51%, relatif à la faible majorité par laquelle la Constitution Égyptienne semble avoir été adoptée, offre lui aussi une résonance toute particulière pour un québécois se rappelant l’après référendum de 1995 et comment Ottawa s’est mêlée de la définition de ce qu’est la « Clarté » en révisant au passage le principe du 50% plus 1 généralement admis…. Mais, en omettant au passage de revoir cette fameuse Constitution Canadienne et de faire en sorte de réintégrer le Québec au document constitutif des valeurs communes du Canada… Nous avons perdu, tour à tour, la possibilité de faire la souveraineté et celle de corriger l’erreur de 1982.
Nous avons perdu sur les deux tableaux…
Sur ce, bonne chance aux Égyptiens…