En guise d’apéro: une cuillèrée de poudigne-chômeur
Notre universelle et paternelle affection à ces -multitudes de souffrants et de déshérités du monde que vous vous employez à secourir et à promouvoir, et qui vous honorent aussi de leur identification au Seigneur Jésus: «Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez» (Mathieu 25, 40). – Paul VI, 9 mai 1969, discours devant l’Assemblée générale de Caritas Internationalis
Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli… Ça, c’était Mathieu 25, 35.
Car s’il est mis au chômage, vous l’affamerez; s’il fait une demande de prestations, vous la lui refuserez; et s’il souhaite porter ce refus en appel, les motifs de votre décision ne lui montrerez ni accès à son dossier ne lui donnerez. – Stephen Harper, épître à Service-Canada
À la Vérité, à la Vérité je vous le dis, mécréants: vous disposerez de 30 jours pour faire appel du refus désormais quasi automatique… mais les motifs de ce refus, c’est pas de vos crisses d’affaires! Si vous insistez… bin passez par la Loi sur l’accès à l’information, payez à même ces prestations dont je vous aurez privés, et quand mes fonctionnaires auront daigné vous répondre, vos délais d’appel seront expirés [1].
Ça vous apprendra à vous pogner le beigne aux dépens des honnêtes travailleurs de l’Alberta, gang de parasites!
Le plat principal
Dis-moi qui tu nommes, je te dirai qui tu es…
Le Canada connaît DEUX systèmes de droit, dont l’un a été imposé par le conquérant anglais – la common law – et l’autre constitue l’héritage du régime français et ne reçoit application qu’au Québec: c’est le droit civil, articulé autour du Code du même nom. Les Pères de la Confédération ont fait preuve d’une grande sagesse quand ils ont convenu entre eux de réserver trois des neuf sièges de la Cour suprême du Canada à des juges issus du système civiliste propre au Québec.
C’était le prix à payer pour garantir un minimum vital de connaissance des questions de droit civil par « le plus haut Tribunal du pays » [2]. Cette disposition a été reprise à l’article 6 de la Loi sur la Cour suprême:
«Au moins trois des juges sont choisis parmi les juges de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure de la province de Québec ou parmi les avocats de celle-ci.»
La nomination de Marc Nadon ne respecte pas la lettre de la Loi – du moins, telle que rédigée avant qu’elle ne soit amendée ce jour un article perdu dans la loi mammouth (plus de 300 pages) présentée par Jim Flaherty. Elle en respecte toutefois l’esprit apparent, dans la mesure où le bonhomme a bel et bien été membre du Barreau du Québec pendant les dix années qui suffiraient à le rendre éligible. Cette nomination remplit-elle les objectifs qu’avaient en tête les Pères de la Confédération? NON. Mais cet objectif ne pèsera pas lourd au moment où les collègues de Marc Nadon devront se prononcer sur son éligibilité!
À ce jour, six des neuf juges de la Cour suprême auront été nommés par Stephen Harper. Et avant la fin de son présent mandat, le Québécois Louis Lebel devra à son tour céder sa place pour raison d’âge. La juge Marie Deschamps a été remplacée par Richard Wagner – oui, oui, le fils de Claude « Law and Order » Wagner. – Morris Fish, celui que doit remplacer Marc Nadon, était un grand criminaliste et spécialiste des libertés civiles. Nadon, lui, est surtout reconnu pour ses compétences en droit maritime et il y a bien 20 ans qu’il n’a pas ouvert son Code civil… qui a été modifié de fond en comble dans l’intervalle.
Danger, donc. J’ose espérer que le juge Lebel – qui n’a rien à perdre puisqu’il quittera dans quelques mois – saura rappeler Stephen Harper à l’ordre: confier à un analphabète [3] du droit civil l’un des trois sièges réservés à des juristes, c’était faire injure au Québec et à son système de droit particulier.
Le ministre des affaires intergouvernementales, Alexandre Cloutier, fait preuve, lui, d’un angélisme navrant:
«On a droit à trois juges et on va l’exiger. C’est certain qu’on va s’assurer que la voix du Québec soit entendue à la Cour suprême.» – «On a droit à trois juges et on va l’exiger. C’est certain qu’on va s’assurer que la voix du Québec soit entendue à la Cour suprême.» – Patrice Bergeron, La Presse Canadienne, 17 octobre 2013 (dans La Presse)
La voix du Québec? Vraiment? Aucun souverainiste n’a jamais été nommé à la Cour suprême du Canada, c’t’ivident… Une voix pour le caractère civiliste et distinct du Québec, soit. Du moins, ça aurait pu être possible si les Conservatifs avaient nommé quelqu’un d’autre. Mais un allié du Québec sur le plan constitutionnel? Bullshit!
Pourquoi alors cette nomination plutôt controversée?
Une nomination moins logique qu’idéologique
Stephen Imperator Harper aime bien montrer que c’est lui qui est le boss. Procéder à une nomination dont il sait qu’elle attisera la colère du gouvernement du Québec, c’est l’un de ses sports de prédilection; cela dit, non, ça n’est pas la perspective d’une bonne partie de bras de fer qui a inspiré cette nomination malencontreuse.
C’est plutôt le biais idéologique du juge Nadon au niveau de la Cour d’appel fédérale – un tribunal habitué à traiter des litiges portant sur la fiscalité, la propriété intellectuelle… et les questions de sécurité nationale. Le juge Nadon n’y a jamais exprimé la moindre opinion sur sa perception de la Charte des droits et libertés mais sans doute les chasseurs de tête de juge mandatés par Herr Harper ont-ils obtenu à ce sujet des précisions que même la communauté juridique ignore. De quoi faire saliver un politicien pervers…
Le juge Nadon a exposé tout un pan de sa pensée juridique, dans cette dissidence largement commentée qu’il avait signée en 2009 dans une affaire concernant Omar Khadr […]. Le juge Nadon y avait défendu avec passion le refus exprimé par le gouvernement de rapatrier Khadr. La Cour suprême lui a plus tard donné raison en partie, mais elle avait sévèrement blâmé le Canada pour sa responsabilité dans les traitements infligés à Khadr, alors que sur ce point, le juge Nadon avait jugé irréprochable la conduite du Canada [traduction par l’auteur]. – Sean Fine, The Globe and Mail, 13 septembre 2013.
Reste que Stephen Harper semble vraiment chercher le Québec, dans son processus de nomination des juges. Deux de ses cinq premières nominations avaient placé des unilingues à la Cour. Dans le cas du juge Rothstein, il est manitobain et je puis comprendre que le bassin des candidats bilingues de qualité y soit « limité »; de toutes manières, l’âge de la retraite aura sonné pour lui le 25 décembre 2015… après la date prévue pour des élections générales. Sauf que je mettrais un p’tit $2 sur une démission anticipée, afin de permettre à un gouvernement Conservatif de procéder à son remplacement. By the way, tout comme Nadon, Marshall Rothstein a été pigé à la Cour d’appel fédérale.
Dans le cas de l’Ontarien Moldaver, nommé en octobre 2011, rien ne justifie que ce gouvernement de merde n’ait pu trouver (?) un candidat bilingue de qualité… Comme le Québec, l’Ontario a droit à trois juges; pour les autres provinces, il y a rotation.
Bref, au total, c’est 40% d’unilingues et 50% pour faire chier le Québec. Un bon Premier-Ministre, que j’vous dis!
Nomination malencontreuse? You bet!
Quand un Premier-Ministre remplace une sommité par un juge aux compétences moins éclatantes – et moins utiles à l’exercice de ses fonctions, il faut s’attendre à ce que la communauté juridique exprime des commentaires négatifs. Un net recul, affirment certains.
« La nomination d’un expert en droit maritime constitue un choix déconcertant, en ce que cette spécialité n’est pas vraiment en phase avec les champs d’intervention habituels de la Cour en matière de droit public, de Charte [des droits et libertés] et du droit pénal», a commenté Jamie Cameron, professeure de droit à Osgoode Hall, la faculté de droit de l’Université York. « je ne vois pas en quoi cette nomination pourrait renforcer la Cour et pourvoir adéquatement au remplacement du juge Fish, lui-même un éminent juriste, repecté pour ses compétences en droit public et en droit pénal » [traduction par l’auteur]. – Sean Fine, The Globe and Mail, 13 septembre 2013.
Mais peut-être Stephen Harper cherche-t-il justement à affaiblir la Cour suprême, lui qui n’a pas toujours apprécié le jugement sévère que portent les tribunaux sur les Lois et politiques qu’il a fait adopter.
Dit en d’autres mots, ce qui est bon pour le Canada n’est pas toujours bon pour Stephen Harper. Et inversement.
Un dernier point: le juge Nadon avait à la Cour d’appel fédérale le statut d’un juge surnuméraire. Semi-retraité, avec une charge de travail réduite. Pourquoi Stephen Harper a-t-il passé ce détail sous silence au moment de présenter sa nouvelle recrue? Les journalistes s’interrogent. Ici et ici.
L’humilité… et la jugeotte
« During my youth, my ambition in life was to become a hockey player, which may seem surprising looking at me but those days were different. In fact, I was drafted by the Detroit Red Wings when I was 14 » – Althia Raj et Ryan Maloney citant un commentaire de Marc Nadon devant les parlementaires, Huff Post, 4 octobre 2013
Marc Nadon a beau s’est rétracté depuis, cette vantardise témoigne d’un manque flagrant de jugeotte; pour un aspirant à la Cour suprême, ça fait dur! Son nonneur avait été repêché par une équipe de niveau midget qui – comme c’était la coutume à l’époque, appartenait à une équipe de la NHL, ici les Detroit Red Wings; si le jeune homme avait eu le talent pour monter Junior et – éventuellement – jouer dans la NHL, il n’aurait eu d’autre choix que de jouer pour Detroit. Mais les chances que ça se produise étaient presque aussi nulles que le mensonge de Nadon était gros!
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[1] Entendue ce 23 octobre sur les ondes de RDI, la bâtonnière du Québec, Me Johanne Brodeur, s’est montrée particulièrement cinglante à l’égard du mépris dont témoigne la directive de Service-Canada interdisant à ses fonctionnaires de communiquer au prestataire le contenu de son dossier et les motifs à l’appui de la décision de lui refuser le bénéfice des prestations. C’est une question d’équité procédurale, une notion à la base de tout le système de droit administratif. Cette directive ne permet pas au prestataire de savoir en temps utile si, à titre d’exemple, l’enquêteur qui a noté ses réponses et commentaires au dossier n’a pas écrit OUI quand le prestataire répondait NON à la question qui lui était posée par téléphone. Ne riez pas; j’ai vu bien pire!
Le Barreau n’a pas du tout apprécié cette réforme de l’Assurance-emploi, tel qu’en fait foi son mémoire.
[2] En 1867, la Cour suprême constituait le deuxième de TROIS niveaux d’appel; la Chambre des Lords, à Londres, entendait des appels en provenance de l’ensemble du Commonwealth. La Cour suprême ‘est vraiment suprême que depuis 1933 en matière criminelle, et depuis 1949 pour ce qui est des autres formes de litige.
[3] Analphabète du droit civil? Tout est relatif, bien sûr; Marc Nadon est plus compétent en la matière que 99% des non-juristes mais plus ignorant qu’un avocaillon de province qui aurait été admis au Barreau en 2010… À mon sens, et sachant cela, Nadon a été particulièrement culotté d’accepter le poste… et les honneurs qui l’accompagnent.
@ sous merde
Il n’y a vraiment qu’un Q pour chier aussi puant.
By the way, as-tu vraiment les moyens de te payer le Sheraton Laval, où je t’ai localisé?
PS: toutes mes félicitations pour le choix de ton pseudo. Il te va comme un gant. Et non, ton torchon ne sera pas publié.
Personnellement, je pense que ce n’est que la suite logique de l’effondrement du système judiciaires.
On fonctionnais déjà avec un système de « justice » pour les riches et un pour les autres. Que le parti au pouvoir ce mette à changer les règle selon son bon vouloir.
C’est cynique, mais c’est la réalité.