Des documents mis à jour par Edward Snowden confirment que la NSA – cette National Security Agency capable d’espionner tout ce qui bouge et parle sur cette planète – a déposé 270 brevets depuis 1979.
C’est du moins ce que révélait ce mercredi la revue Foreign Policy.
Certains sont tout à fait en ligne avec l’activité de la NSA, comme des brevets sur des méthodes de cryptage de données ou sur des analyses vocales. Il y a aussi un brevet qui permettrait aux agents de l’agence de sécurité de savoir si la carte Sim d’un téléphone portable a été remplacée ou retirée. – Agence France-Presse, dans La Presse, 30 juillet 2014
Jusque là, passe encore.
Mais quel était donc l’intérêt de la NSA de plancher sur ce siège d’auto pour enfant pour lequel elle détient un brevet depuis 1993?
Le site internet de the Foreign Policy Magazine révéle que, parmi ces brevets plutôt inattendus se trouve également un couvercle de trou d’homme (manhole secured cover). Mais revenons à ce siège pour enfant:
On s’explique difficilement la demande et l’obtention d’un brevet pour un siège d’auto pour enfants, capable d’accueillir aussi bien les poupons que les enfants plus grands et plus âgés. Le bénéfice qu’entendait retirer la NSA de ce brevet n’est pas très évident et la documentation n’en souffle mot.
Mais tel qu’indiqué dans la demande de brevet, les inventeurs promettaient de résoudre un problème bien connu de tous les parents Américains que la croissance de leur enfant oblige à remplacer le siège pour bébés par un siège plus grand quand l’enfant a grandi. [ma traduction] – Shane Harris, The NSA’s patents, in one searchable database, Foreign Policy, 30 juillet 2014
Aaaah, ces fonctionnaires! Dire que nos amis libââârtariens doutent de leur utilité.
Le brevet relatif au siège d’auto est passé entre les mains de Chrysler, d’où la ressemblance notée par France-Presse avec les sièges d’auto qui équipent les voitures de cette marque. Il est aujourd’hui détenu par… Citibank, indique l’historique des « événements juridiques » relatifs au brevet US5224756 A.
J’y reviens plus bas, pour ceux que la chose peut intéresser.
Les questions qui tusent:
La NSA a-t-elle vraiment assigné des chercheurs à la problématique des propriétaires de corbillards pognés avec des bébés qui grandissent?
Ou aurait-elle espionné des équipes de chercheurs japonais ou sud-coréens pour leur soutirer des secrets industriels sinon même les scooper au profit d’entreprises à propriété américaine?
À moins que ce soit Chrysler qui ait réussi à soudoyer les dirigeants de la NSA pour qu’elle affecte des chercheurs payés par l’État à un projet destiné à enrichir ses seuls actionnaires?
Quelle que soit la réponse, je crains qu’elle puisse être nauséabonde. Moi aussi, après tout, j’ai un petit côté libertarien 😉 ; si l’État doit s’abstenir de jeter un oeil dans les chambres à coucher, j’estime que la national Security Agency n’a pas pour fonction de s’occuper de la sécurité des enfants. Ni encore moins de développer des brevets au seul bénéfice de la grande industrie.
Mais bien sûr, la vraie vérité vraie, c’est que la NSA se préoccupe du confort de ses agents et de leurs enfants. Faudrait vraiment être de mauvaise foi pour lui en faire reproche!
Liste partielle des brevets déposés par la NSA
- dispositif et méthode pour détecter l’enlèvement et la réinsertion d’une carte SIM
- protecteur de prise USB
- reconnaissance biomimétique de la voix
- support à carabine (rifle)
- outil d’analyse financière « time neutral«
- planche de jeu (game board)
- comment trafiquer un joint-cuvette (tamper cup seal)
- méthode de traitement de texte
- enveloppe réutilisable, capable d’indiquer si elle a été ouverte sans autorisation
Tout ça, entre 2008 (bas de liste) et 2013 (haut de liste). Mais ils ont aussi travaillé sur des lentilles et du matériel optique, au début des années 80. Au moins, c’est plus utile à un espion qu’une planche de jeu!
The NSA employs tens of thousands of cryptologists, mathematicians, and computer scientists who routinely come up with novel ways to protect — and steal — electronic data.- Shane Harris, The NSA’s patents, in one searchable database, Foreign Policy, 30 juillet 2014
Mais on est loin de la US Navy, qui, pour la seule année 2013, a obtenu 383 brevets!
Chrysler dans tous ses états (littéralement)
L’historique du brevet rappelle par ailleurs l’histoire récente de Chrysler.
- 2007: Chrysler LLC (pour Limited Liability Corporation); le brevet appartenait alors à Wilmington Trust, du Delaware (l’État qui s’apparente à un paradis fiscal), Chrysler en étant l’usager inscrit
- en date du 14 novembre 2008, Chrysler LLC -alors en sérieuses difficultés – devient DaimlerChrysler Company LLC. Prélude à une fusion/acquisition avortée
- le 14 janvier 2009, en contrepartie d’une « avance de fonds » par le gouvernement, les droits sur le brevet sont cédés au US Dept of the Treasury.
- Le 1 juillet 2009, le brevet est la propriété de Chrysler LLC (tiens, ça n’est plus Daimler Chrysler!) mais le Département du Trésor détient sur lui une hypothèque légale
- Le 6 juillet 2009, Chrysler n’est plus; la compagnie porte le nom de New Carco Acquisition, LLC
- Le 7 juillet 2009, New Carco LLC devient, pour le bureau des brevets, le Chrysler Group, LLC
- Le 24 mai 2011, Chrysler Group LLC cède ses droits de propriété sur le brevet à Citibank. On peut imaginer que cette cession a été consentie en contrepartie d’une quelconque avance de fonds dont peut-être les médias n’avaient pas parlé, de crainte de faire fuir les acquéreurs de véhicules des diverses marques Chrysler (Jeep, Dodge, Ram…).
Maudits avocats à 1000$ l’heure! Toutes ces transactions occultes entre Chrysler, ses banquiers successifs, le Département du Trésor, le bureau des brevets, Daimler et Fiat, ça ajoute combien sur le prix d’un Jeep?