Saisissante, cette image de l’Hôtel de ville de Montréal par Michel Julien.
Dommage, toutefois, que les ronds-de-cuir de son Service des finances ne soient pas toujours aussi lumineux…
Une erreur de la Ville de Montréal a forcé un propriétaire à payer deux fois une taxe municipale pendant 15 ans. Plutôt que de s’excuser et de le rembourser, la Ville lui répond par la bouche de ses avocats.
Un peu de droit…
2925.L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
2926.Lorsque le droit d’action résulte d’un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.
2904.La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres.
Le Service des Finances invoque l’article 2925, qui limite la répétition de l’indu aux seuls paiements reçus sans droit au cours des trois dernières années. La répétition de l’indu? De kossé? Non, il ne s’agit pas ici d’une répétition au sens théâtral ou orchestral du terme. Bref, au sens de rehearsal. Ni de l’action de répéter un geste ou une phrase. Il s’agit ici d’un exemple de cette langue un peu tordue des avocats et des juges. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, hein? Expression équivalente: remboursement d’une somme payée en trop…
En faisant mine d’ignorer que l’article 2925 s’insère dans un régime de poids et contrepoids juridiques, le Service des Finances de la Ville ne paraît pas très honnête, en ce sens que pour contrebalancer ces délais très courts, le législateur a inséré les articles 2904 et 2926.
Quand le contribuable a-t-il été en mesure de connaître l’erreur? S’il ne peut être conscient du préjudice que le 1 novembre 2014, la prescription ne court contre lui qu’à compter du 1 novembre 2014. Et si je contribuable se trouvait dans l’ignorance non pas de son droit mais de circonstances susceptibles de justifier un remboursement, l’article 2904 fait en sorte que la prescription de trois ans ne peut courir qu’à compter du jour où il lui est possible d’agir…
Je m’objecte, son nonneur…
a) Commençons par le prétendu « système de justice à deux niveaux« , évoqué par Mathew Pinard… Pas sûr de bien comprendre où il s’en va avec ses skis, celui-là; la Ville ne pourrait pas prétendre réclamer des taxes vieilles de 10 ans, et c’est très bien ainsi. En effet, la taxe foncière est rattachée à l’immeuble plutôt qu’au propriétaire; si la Ville pouvait rajouter 20000$ de taxes qui auraient dû être payées entre 1999 et 2011, c’est le propriétaire actuel qui sera pris avec la dette du propriétaire de 2003 ou 2007 et s’il n’en acquiie pas le montant, l’immeuble pourra être venu pour taxes!
b) Denis Coderre porte ici deux chapeaux – à part la calotte des Expos. Certes, c’est un politicien, qui aime bien projeter l’image d’un Monsieur Sourire qui réagit prestement. Mais c’est aussi un gestionnaire de fonds publics et le voilà tout fier d’être heureux d’être le premier maire à avoir pu contenir l’augmentation des dépenses et l’augmentation des taxes…
Il serait électoralement rentable d’annoncer devant les kodaks qu’il a réglé le problème moins de 24 heures après en avoir été saisi. Sauf que… Régler le problème du contribuable Michel Plouffe, c’est également courir le risque de susciter des dizaines, des centaines ou des milliers de demandes de même nature.
c) Mais… d’où provient l’erreur? Et comment s’est-elle manifestée? Le relevé de taxes foncières du contribuable comportait-il suffisamment d’indices pour permettre à un citoyen raisonnablement futé de comprendre qu’on lui facturait deux fois le même montant, comme Jacques Vandersleyen semble le sous-entendre dans son commentaire ci-dessus?
Ou, au contraire, le compte de taxes adressé par la Ville est-il d’une telle opacité qu’une chatte y perdrait ses petits?
Bref, et dans la mesure où la facture adressée au citoyen était suffisamment détaillée pour lui permettre de comparer le montant auquel son immeuble est évalué, le taux de la taxe à l’amélioration locale et le montant qui lui est facturé, peut-être les articles 2926 et 2904 ne lui seront-ils d’aucun secours…
À l’opposé, s’il est impossible d’effectuer ce simple calcul à la seule vue du relevé de taxes foncières, je ne pense pas que l’on doive exiger du contribuable qu’il donne le mandat à un expert de la réglementation en vigueur de scruter le texte des règlements, un à un.
J’ignore jusqu’à quel point la réglementation de Montréal est – et a été – accessible par internet en tout temps pertinent, mais je sais que chez moi, une telle vérification est impossible sans une demande de copies de documents dont le contribuable ne connaît ni l’existence, ni la date, ni le contenu… On appellerait ça une partie de pêche, auquel cas je serais porté à conclure que la Ville doit rembourser le montant intégral…
Le ver dans la pomme…
Je m’en confesse: pour ma part, aucun avis de cotisation émanant d’une quelconque autorité n’est à l’abri des erreurs les plus flagrantes…
Du temps où sa mère et moi nous partagions la garde de notre fille, je répondais à la définition de travailleur autonome et, à ce titre, je devais à l’avance – entre les mains du percepteur – un montant équivalent à quelques mois de pension. Et puis notre bébé est devenu majeure et autonome, si bien que j’ai cessé de faire affaires avec le Percepteur.
Mais voîlà… les fonctionnaires ont trébuché dans les fleurs du tapis. Le Percepteur devait me retourner ma provision de deux mois, plus les intérêt; il refusait toutefois de le faire, sous prétexte que, selon eux, je leur devais une demi-mensualité. Ce que j’ai contesté.
Les tabarnaks, ils ont saisi entre les mains de la Commission des Services juridiques un montant de quelques milliers de dollars qui m’était dû pour du travail effectué sous mandat d’aide juridique.
Heu… Quand j’ai su, j’ai – bien sûrr – pogné – le téléphone et j’ai essayé de lui expliquer les articles 1672 et 1673 du Code civil:
1673. La compensation s’opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l’une et l’autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
En clair, le Percepteur me devait un montant représentant deux mois de pension, plus les intérêts courus sur ce montant depuis qu’il a été versé entre ses mains. En réalité, il me devait une demi-mensualité pay.e en trop, ce que tout le monde ignorait alors – même moi!
Le Percepteur prétendait que moi, je lui devais une demi-mensualité, mais le crisse de nabot que j’ai eu au bout de la ligne ne connaissait pas l’article 1673; tout ce qu’il savait, lui, c’était le contenu de la Loi sur la perception. On devinera que ça s’est terminé en engueulade…
Le lendemain, j’ai parlé au boss. À LA patronne, plutôt. Elle n’a pas mis de temps à reconnaître que mainlevée de saisie devait être accordée drette là, compte tenu de l’article 1673; on va aviser notre monde de l’existence de cet article, soyez-en certain…
Et puis, me dit-elle, j’ai fait faire les calculs, un montant de $$$$ sera rétro-versé dans votre compte dès demain matin…
Nooon, que je lui dis. Vous me devez pas mal plus que ça! Ensemble, elle et moi, nous avions épluché mon dossier. Date du jugement confirmant le montant de la pension. Date à laquelle l’obligation prenait fin. Combien de demi-versements ça fait, ça, Madame? Réponse: soixante et une… Et combien de demi-mensualités le Percepteur a-t-il encaissées, madame? Soixante-deux…
Et votre trou de cul a eu le culot de procéder à une saisie en mains tierces? Cibouère!
À l’époque, j’ai songé à intenter un recours collectif au nom de tous ces payeurs floués par le Percepteur, dont le traitement de mon propre dossier pouvait laisser soupçonner l’existence. Mais j’ai préféré m’abstenir… même si ça n’aurait pas pu nuire aux affaires de mon bureau.
La morale de l’histoire? Ne jamais se fier aux prétentions d’un rond-de-cuir…