Le chef du Service de police de Laval, Pierre Brochet, interpelle le ministère de la Santé et des Services sociaux – responsable des centres jeunesse – sur le « problème » des « portes déverrouillées » aux centres jeunesse.
«[les policiers] savent que la jeune fille se trouve avec un proxénète. Ils la retrouvent, et le mois suivant, elle est encore en fugue. Un moment donné, il faut trouver une façon d’arrêter ce cycle-là », ajoute-t-il. – Caroline Touzin et Katia Gagnon, La Presse, 6 février 2016
Mes petites-filles sont devenues des grandes filles. Plus grandes que maman, plus grandes que les deux mémés, plus grandes que la blonde-à-papa. Même que l’aînée a atteint cet âge où les ados SAVENT tout; c’est à cet âge-là qu’ils inventent la roue à trois boutons et qu’ils découvrent avec effroi que, à l’image de Sam Hamad, les vieux débris de 18-20 ans sont tous des ignares. Et à 25 ans, ils deviennent tous Alzheimer; c’est bien connu.
Bref, ma grande petite Ève appartient à la génération de ces tites filles qui ont fugué du Centre Jeunesse de Laval. Mais là s’arrête la comparaison.
Et ce McDo de la rue Lajeunesse, face au Parc Ahuntsic, qu’est-ce qu’il fait là, sur cette image tirée de Google street view? Heu… Feue ma fille a habité non loin de là, sur Henri-Bourassa. Sa coloc et elle travaillaient toutes deux au McDo de la rue Lajeunesse, où la jeune caissière a vu débarquer des filles qui, comme elle, avaient fréquenté la Polyvalente Iberville de Rouyn-Noranda. Elles arrivaient sur le pouce; leurs parents ne savaient pas, bien sûr.
Certaines d’entre elles repartaient avec un gars – un bon samaritain qui n’était sans doute pas là par hasard et qui était prêt à leur payer des fringues et à leur trouver une job. Ça fait longtemps que les pimps recrutent dans ces points de chute. Dire que Facebook n’existait pas encore dans la tête de Mark Zuckerberg…
Parfois, ces belles grandes filles, c’étaient des évadées du Centre de réadaptation La Maison. Parfois, des clientes que j’avais représentées devant la Chambre de la Jeunesse. Ou des jeunes filles dont j’avais tenté de soulager le désespoir des parents. Ou, parfois encore, c’était la fille d’un ami à moi, interceptée à la porte de la station Berri-UQàM par un policier qui avait été témoin d’une « approche » raxccoleuse.
Ces filles qui fuguent et qui échouent dans la toile du pimp-araignée, elles auraient pu être la mienne.
Les compressions budgétaires
Déjà, de mon temps (au tournant du millénaire!), les centres-jeunesse étaient à court de ressources et les premières victimes étaient ces ados en besoin de protection. On ne parle pas ici de délinquance, mais de victimes. Des enfants violentés par un père, par un beau-père ou par un mononc’ abuseur. Des enfants laissés à eux-mêmes par une mère monoparentale et addict. Des enfants dont la révolte étaient trop aiguë pour qu’on les puisse confier à une famille d’accueil, alors on les « casait » dans un Centre et là… il manquait DÉJÀ de personnel en 2002.
Et c’était avant le duo libertarien Martin Coiteux / Philippe Couillard.
Le cheuf Brochet suggère d’enfermer les ados. Tous les ados? Bonjour, la police! À la rigueur, certain(e)s gagneraient sans doute à être protégé(e)s contre leur propre naïveté et tenus éloignés des souteneurs qui pourraient profiter de leurs chaînes et de leur révolte pour les recruter. Mais je me méfie des pouvoirs arbitraires, et le droit d’enfermer à double tour DOIT être balisé. De toutes façons, enfermer les filles sans leur aporter le moindre soutien, c’est reporter le problème à leur 18e anniversaire; ce qu’il faut, c’est TRAITER le problème à la source. Mais en lieu et place, le Centre jeunesse de Laval – celui vers lequel pointent tous ces yeux courroucés en janvier 2016, a vu son budget être amputé de 20 millions en 2015.
Peut-être le cheuf Brochet ignore-t-il la différence entre protection de l’adolescent-victime et répression de l’adolescent-délinquant? C’est sûr fermer toutes les portes à clé 24 heures par jour, ça coûterait moins cher que l’embauche de psychologues et de pédo-psychiatres… D’un autre côté, à 18 ans, le Brochet, va falloir les lâcher lousse et il n’y aura plus moyen de les enfermer à clef pour les protéger.
Alors peut-être vaudrait-il mieux les « réparer » en 2016 et y affecter les ressources nécessaires?
Le projet de Loi Mourani: ça presse!
On l’oublie trop facilement, mais avant d’être élue sous les couleurs du Bloc, cette grosse fucking islamisse de Mourani (une chrétienne à la croix ostentatoire, n’en déplaise à le Han-Luc Proulx) était déjà criminologue de formation et spécialiste des gangs de rue; le projet de Loi C-452, qui est devenu le Chapitre 16 du recueil des Lois pour la dernière session, c’était son bébé. Même s’il a été sanctionné le 18 juin 2015, le décret qui doit en confirmer l’entrée en vigueur n’a été adopté ni par le précédent gouvernement ni par le nouveau.
Une Loi, c’est toujours un peu technique. Le paragraphe 1 a pour objet de renverser le fardeau de preuve; une fois la Loi Mourani entrée en vigueur, la personne qui « vit avec une personne exploitée ou se trouve habituellement en sa compagnie » sera désormais présumée en être le proxénète et ne pourra s’exonérer qu’en faisant la preuve du contraire. Et les « sentences » en la matière devront désormais être purgées l’une à la suite de l’autre, plutôt que l’une à la suite de l’autre.
Une fille rapporte plus de 150000$ par année à son proxénète; le trafic de la chair est donc très lucratif; malheureusement, dans l’état actuel du droit et même si la police est en mesure de mettre des noms et des visages sur les trafiquants les plus actifs, il est impossible d’obtenir une condamnation.
«C’est vraiment notre principal défi, que non seulement les victimes portent plainte, mais qu’elles se rendent jusqu’à la fin du processus judiciaire», dit le chef de police.
Encore récemment, un proxénète lavallois a été acquitté parce que la victime avait retiré sa plainte en plein procès, illustre-t-il. Autre embûche : lorsqu’un proxénète est remis en liberté en attendant son procès, cela multiplie les risques qu’il intimide sa victime et la force à retirer sa plainte.
Accuser et faire condamner un proxénète n’est pas chose facile, confirme une source, qui nage dans ces dossiers depuis des années. « Généralement, on retrouve la victime, elle fait une déclaration vidéo à un enquêteur et elle lui raconte tout. Si le pimp n’est pas arrêté dans les heures qui suivent, il va la retrouver et elle ne va plus vouloir témoigner ou elle va tout nier en bloc. Pour aller au tribunal, les policiers vont donc devoir corroborer chaque élément de son témoignage. Cela représente des mois d’enquête », souligne notre source. – – Caroline Touzin et Katia Gagnon, La Presse, 6 février 2016
Mourani a raison, le fardeau de la preuve doit reposer sur le proxénète: à lui de prouver que la fille qu’il traîne partout avec lui et qu’il exhibe à ses clients ne se prostitue pas. Et quand le pimp du quartier aura été condamné, on pourra saisir les profits qu’il retire de ce commerce. J’imagine que, une fois condamné, le pauvre souteneur aura du mal à convaincre un juge que son condo, sa voiture sport et ses dépenses somptuaires n’ont rien à voir avec des activités criminelles.