On fait reproche aux juristes, rappelait le 30 janvier un étudiant en droit dans la page des lecteurs du Devoir, d’avoir une conception de la société qui serait trop « légaliste », pour ne pas dire trop étroite. D’une certaine manière, le droit n’est pas perçu comme un guide orientant la réflexion (comme c’est normalement le cas dans une société de droit), mais bien comme des oeillères limitant la portée du débat. – Christophe Achdjian, dans Le Devoir, 30 janvier 2014
Ce texte faisait écho à cet autre, publié une semaine plus tôt sous la plume d’un certain Robert Cadotte:
il était une fois, il y a 225 ans cette semaine, la Révolution française. Le peuple, excédé par les lois iniques et injustes du roi l’envoya à la Bastille. Beaucoup de juges et d’avocats eurent aussi droit à la guillotine pour avoir défendu et appliqué des lois iniques et injustes. Cinq ans plus tard, la Révolution promulgua une loi abolissant l’esclavage. Pour les révolutionnaires, le droit divin et éternel n’existait pas. C’était le peuple qui devait voter les lois. C’était le peuple qui était le souverain et définissait le droit.
[…] Il était une fois, il y a quelques jours, le Québec. Le peuple souverain désirait adopter une loi sur les valeurs québécoises. Mais c’était sans compter sur les avocats qui accusent maintenant le peuple de vouloir changer une loi éternelle décrétée par Dieu en 1982.
L’histoire n’est jamais écrite d’avance. Qui, du peuple ou des avocats, aura le dernier mot ? L’avenir le dira. – Robert Cadotte, dans Le Devoir, 23 janvier 2014
Ce Cadotte me semble pourtant brillant, ce qui ne l’empêche pas d’être particulièrement malhonnête dans sa recension de l’Histoire. Après tout, si certains juges et avocats doivent être jugés (!) pour leur rôle de valets du pouvoir établi, d’autres, et ils sont bien plus nombreux, se sont portés au contraire à la défense des opprimés contre les abus d’un pouvoir arbitraire… comme, par exemple, celui qu’aura exercé Duplessis contre les minorités (Juifs et surtout témoins de Jéhovah) et les travailleurs de l’amiante (conflit des mineurs d’Asbestos).
Je suis généralement en désaccord avec les opinions politiques exprimées par Michel Lebel, ci-devant constitutionnaliste et professeur de droit à la retraite. En revanche, il m’est difficile de ne pas me rallier à la vision qu’il exprimait du droit, en guise de réponse à ce commentaire de Robert Cadotte:
Les Chartes des droits et libertés sont là pour protéger les personnes et les minorités des excès et des abus possibles de la majorité. L’Histoire nous montre bien ce qu’une majorité parlementaire, sans contrôle judiciaire fort et indépendant, peut faire. Mieux vaut ce contrôle que pas de contrôle du tout! Et comme il s’agit de droit, le rôle de l’avocat est aussi nécessairement bien important!
Le fondement de toute démocratie est la souveraineté du peuple, mais celle-ci doit toujours s’exercer dans le respect des droits et libertés garantis par une ou des lois fondamentales. Une démocratie est faite de pouvoirs et de contre-pouvoirs.
Michel Lebel a également réagi au texte publié par l’étudiant Achdijian le 30 janvier:
Nous vivons au Québec depuis quelque temps dans un discrédit à l’égard droit, des avocats et des juges. Tout ce beau monde serait au seul service du statu quo, alors que le monde du ministre Drainville, le vrai peuple, le monde ordinaire, serait la seule voie du progrès, de la pensée juste, de la démocratie! C’est le triomphe du populisme et d’un anti-intellectualisme certain. Duplessis renaît de ses cendres!
Les couteaux volent bas. Même au Devoir, dont le lectorat s’apparente de plus en plus à celui des dretteux nationaleux qui hantent les pages des lecteurs de Vigile.net.
- Et vous , M. Lebel, à part d’insulter le peuple, où vous situez-vous ? Lisez bien attentivement le mémoire de M. Rocher et essayez de nous dire que c’est le « triomphe du populisme et de l’anti-intellectualisme. Si vous éprouvez des difficultés à le comprendre, il me fera plaisir de vous aider. – Jean-Pierre Marcoux, 30 janvier
- Monsieur Lebel, peut-être pouvez-vous nous expliquer comment les juges et les avocats se sont barricadés ainsi hors de la société québécoise?
Ne serait-ce pas en oblitérant la vérité derrière des serments malhonnêtes que leurs maîtres leur ont demander de prêter? Dans ces conditions, quelle sorte de justice rendent-ils depuis des années? – Patrick Lépine, 30 janvier