Un jugement rendu ce lundi en Ontario illustre à merveille le potentiel d’inéquité et d’injustice flagrante d’une Loi qui oblige le juge à imposer une peine minimum, sans égard aux circonstances et sans qu’il puisse exercer la moindre discrétion: alors qu’il est seul dans une maison qu’il visite pour la première fois, un type de 30 ans – Leroy Smickle – trouve un arsenal impressionnant et il se met à raisonner comme un adolescent. Et si je me prenais en photo avec ma webcam, déguisé en boxeur, verres fumés sur les yeux et une arme à la main?
Un peu comme il est possible aux p’tits bout de chou de le faire, assis sur les genoux du Père Noël, drette au sud de la frontière, tiens! J’en avais traité dans ce billet du 1 décembre dernier.
Mais, manque de veine, c’est ce moment précis que l’escouade anti-gang de la police de Toronto avait choisi pour donner l’assaut à coup de bélier dans la porte, croyant trouver à cet endroit le cousin du tit-coune – un dividu connu des milieux policiers, dirait Claude Poirier. Le pauvre Smickle n’a même pas eu le temps de prendre la photo!
Mr. Smickle was reclining on the sofa, wearing boxer shorts, a white tank top, and sunglasses. Thus clad, he was in the process of taking his picture for his Facebook page, using the webcam on his laptop computer. – extrait du jugement
Et Smickle – qui n’a aucun passé criminel mais qui, techniquement, était bien en possession d’une arme prohibée – subit un procès pour une infraction pour laquelle la peine MI-NI-MUM est déjà fixée à 3 ans de pénitencier.
Un criminaliste de Toronto l’avait prédit
Qu’on le veuille ou non, la philosophie « tough on crime » est de nouveau en vogue. Les modifications profondes qu’apportera le projet de loi omnibus C-10 risquent d’être la cible favorite des avocats de la défense, partout au Canada. La constitutionalité des dispositions relatives aux peines minimales obligatoires en matière de drogue sera sans doute débattue, en particulier dans le cas des malades mentaux, des toxicomanes ou des délinquants autochtones. Je prédis une cascade de jugements contradictoires par les tribunaux de première instance en début d’année, suivie de quelques décisions importantes par les tribunaux d’appel, dès le printemps. Rendez-vous probable devant la Cour suprême à Ottawa, mais sûrement pas avant 2013. – Edward Prutschi, 31 janvier 2012: 2-Constitutional Challenges to the Tory Crime Agenda [ma traduction]
Ce n’est pas là l’expression d’une opinion personnelle de Prutschi, ni l’opinion personnelle de tous ces avocats et juristes qui l’avaient pressenti: c’est tout simplement que leur formation et expérience leur permet de flairer le vent. Je prends la peine de préciser pour tous ces Jackwhore qui s’exhibent le cul dans tous les bordels idéologiques de droite.
Et Prutschi de se péter les bretelles, ce 13 février:
It’s so nice to be proven right so quickly. […] Less than a month after I ranked « Constitutional Challenges to the Tory Crime Agenda » as my number two prediction-to-watch for in my 2012 Crime & Punishment column, an Ontario Superior Court has launched the first salvo in the resurgent war against mandatory minimum sentences.
The Queen VS Leroy Smickle: 13 février 2012
C’est à ce jugement que le criminaliste Prutschi faisait référence:
Leroy Smickle a été arrêté en 2009 chez son cousin, que les policiers soupçonnaient de détenir des armes illégales. À ce moment-là, l’accusé prenait des photos de lui-même avec l’une de ces armes. Il s’agit d’un geste idiot qui ne vaut cependant pas trois ans de prison, conclut la juge Molloy, qui écrit qu’il n’y a pas de preuve tangible qu’imposer une peine minimale permet de réduire la criminalité. Elle a donc condamné Leroy Smickle à un an de prison.
Je précise ici que Smickle avait déjà purgé 7 mois, avant son procès; il pourra passer les 5 mois restants « dans la communauté », moyennant certaines conditions. les 5 mois restants seront qu’il lui reste
En rendant sa décision, la juge Anne Molloy invalide du même coup une disposition du Code criminel. La magistrate soutient qu’imposer une peine minimale de trois ans pour une première condamnation pour la possession d’une arme à feu prohibée chargée est cruel et inusité et que cela viole la Charte canadienne des droits et libertés. – Radio-Canada, 13 février
Même l’ultra-conservateur National Post semble voir dans ce jugement un coup fatal à cette justice aveugle que cherche à imposer le gouvernement Harper:
The Conservative government’s tough-on-crime rewriting of the Criminal Code took a potentially fatal blow when an Ontario judge struck down mandatory minimum prison sentences for gun crimes, declaring them “cruel and unusual punishment.”
Ontario Superior Court Judge Anne Molloy concluded that sending a man to prison for three years in the case before her, even though he was found holding a loaded handgun, was unconstitutional.
Leroy Smickle, 30, of Toronto, was caught in “adolescent preening” with a pistol and a web camera when, coincidentally, police burst into his cousin’s apartment.
[…] “A reasonable person knowing the circumstances of this case, and the principles underlying both the Charter and the general sentencing provisions of the Criminal Code, would consider a three year sentence to be fundamentally unfair, outrageous, abhorrent and intolerable,” she wrote in her judgment released Monday.
Le choix de ces mots n’est pas l’effet du hasard: il correspond aux termes utilisés par le législateur à l’article 12 de la Charte des droits et libertés.
“Possession of a loaded restricted or prohibited firearm is a serious matter. But, typically, it is the circumstances in which the gun is possessed, and what is done with the gun, that give rise to the more serious concerns affecting community safety.
“It is also difficult to see how inflicting cruel and unusual punishment on an individual can be justified based on an overall legislative objective of general deterrence.” – Adrian Humphreys, 13 février
Si Leroy Smickle s’était appelé Léon Marcoux, et s’il avait été jugé au Québec, je n’ose même pas imaginer le tollé, chez nos forts en gueule – incluant le Sénateur avec pas de cervelle. Car, c’est bien connu, au Québec, les juges et les avocats couchent avec les criminels et n’ont pas de couilles!
Entéka, des couilles, la juge Anne Molloy en a! Bravo…