
NOTE: J’ai publié le 27 juin un billet préliminaire portant sur le jugement rendu de la Cour d’Appel niant au Québec le droit de récupérer les données du registre des armes d’épaule.
Il m’apparaît aujourd’hui que le sujet mérite d’être disséqué tant au niveau des concepts juridiques que sous l’angle politique et éthique de la gouvernance.
Place ici à l’analyse politique. Quant au volet juridique, il est abordé dans le billet précédent – lequel a fait l’objet d’une RÉVISION COMPLÈTE depuis sa publication initiale.
Le texte intégral du jugement peut être lu et téléchargé ( en format Word) ICI.
Matante Pauline ne va pas le crier sur tous les toits, mais la décision qu’a rendue la Cour d’appel ce 27 juin constitue un coup de pied au cul du fédéralisme dit d’ouverture. Ou du fédéralisme coopératif, si l’on veut. Dit autrement, cette décision risque de réduire à néant les efforts qu’auront mis certains Caquistes et autres caqueteux à vendre le Canada aux nationalistes mous.
Une manière de tricoter ce qu’on avait autrefois qualifié de conditions gagnantes. Une défaite du Québec, une victoire pour le PQ, avait prédit cet observateur du réseau CTV:

Ce jugement comporte en filigrane une critique impitoyable de la méthode bulldozer dont fait systématiquement preuve le gouvernement Harper et du sens politique du gouvernement Harper. Et de son sens politique. D’ailleurs, et peu importe la mouvance politique à laquelle ils appartiennent, les juges de ce pays n’ont pas oublié les outrages auxquels ce gouvernement soumet systématiquement le système judiciaire.
Tantôt, c’est en retirant aux Tribunaux leur discrétion en matière de sentencing – comme si les juges étaient des enfants de la pré-maternelle à qui l’ineffable Vic Toews doit tenir la main. Tantôt, c’est en ouant les pour traverser a soumis le ‘idéoloaucun des qn filigrane, on se rappellera ici avec quelle désinvolture ce gouvernement avait-il choisi d’étirer au maximum son pouvoir de dire NON à des demandes de rapatriement d’Omar Khadr, et ce, à des fins purement idéologiques.
Non, la Cour Suprême n’avait pas le pouvoir constitutionnel de contraindre le gouvernement du Canada à rapatrier Khadr avant qu’il ne soit jugé. Le gouvernement s’est donc torché des droits que garantissait pourtant aussi bien le droit international que le droit canadien à Khadr… et un jour, il faudra l’indemniser, le Khadr. Tout comme il avait fallu indemniser Maher Arar. Tout comme il y aura un prix à cette intransigeance du gouvernement Harper à l’égard de données qu’il préfère détruire plutôt que de les partager à un gouvernement provincial.
Parce que c’est lui, le plus fort – du moins, c’est ce qu’il cherche à démontrer, aussi futile que cela puisse être.
L’histoire se répète, L’histoire, et les mises en garde servies par les tribunaux.
- « S’il y a un prix à payer pour avoir adopté une Loi qui pourrait avoir pour effet d’engendrer des coûts inutiles pour un autre ordre du gouvernement en raison des données contenues à un registre, il se paie aux urnes et non pas, à moins d’absence de compétence ou de violation des droits garantis par les chartes, devant les tribunaux » [paragraphe 35].
- « Il s’agit là d’une question essentiellement politique…« [paragraphe 34].
C’est lourd… Et s’il dit partager le raisonnement des juges de la Cour d’appel sur le plan juridique, l’éditorialiste André Pratte [1] se permet de rappeler aux Conservateurs le contenu du paragraphe 34, ci-dessus. Non sans raison, il ajoute:
Or, au plan politique, le fédéralisme impose aux deux paliers de gouvernement de travailler ensemble dans l’intérêt des citoyens.
Dans le dossier du registre des armes d’épaule, en détruisant les données que souhaiterait utiliser le Québec pour mettre en place son propre système, le gouvernement Harper se rend coupable de sabotage et de gaspillage. Les coûts que devra assumer la province seront d’autant plus élevés. En quoi l’intérêt public sera-t-il servi?
En quoi, en effet, l’intérêt public sera-t-il servi? Stephen Harper pratique la politique de la terre brûlée: ce dont LUI il ne veut pas, ou ce en quoi LUI il ne croit pas, il ne laissera personne en faire usage. Il ne croit pas aux vertus de registre? Alors il le détruit… Les impôts des contribuables ne serviront ici ni les intérêts des Canadiens, ni les intérêts des Québécois, ni même les intérêts de ces honnêtes agriculteurs, membres des clubs de tir et chasseurs au nom desquels les Conservatifs jurent avoir détruit les données du registre et vouloir détruire ce qui en reste. Cette destruction – comme le sabotage de la fiabilité du recensement par l’élimination du formulaire long, ne sert que les seuls intérêts des Conservateurs.
Stephen Harper gouverne SON Canada comme si les autres paliers de gouvernement n’existaient pas. Comme si le gouvernement du Canada et les provinces ne devaient pas travailler en partenariat au bénéfice de Jos Contribuable.
Mission Accomplished! Federalism Destroyed.
Quel meilleur exemple de cette inconscience que la politique harperienne en matière d’assurance-emploi? Y a pas que les pêcheurs saisonniers dans ces régions infestées de parasites que sont les Maritimes et l’Est du Québec [2]; y a aussi les enseignants qui ne jouissent pas encore de la permanence et dont l’été qui nous tombe (discrètement) dessus nous rappelle qu’ils vont devoir postuler des jobs d’associés chez WalMart afin de protéger leur droit à des prestations. Et cet hiver, il y aura les salariés de la construction. Qui a payé pour la formation des enseignants et des travailleurs saisonniers? Les provinces! Si ça peut lui permettre de récupérer cinq cennes, Harper n’hésitera pas à imposer aux provinces l’obligation de dépenser un million.
Federalism Destroyed.
L’idéologie avant tout
Un autre exemple…
Les inondations survenues à la mi-juin dans la région de Calgary ont rendu nécessaire l’évacuation de milliers de citoyens de High River. Des patrouilleurs de la GRC se sont assurés du maintien de la sécurité publique dans les zones sinistrées – de manière, notamment, à tenir les éventuels pilleurs à distance.
Certains ont aussi réagi avec colère après que leurs armes à feu eurent été saisies par des policiers qui inspectaient les résidences.
Le personnel politique du premier ministre Stephen Harper a d’ailleurs condamné ce geste et a affirmé que le gouvernement du Canada s’attendait à ce que les armes à feu soient rendues à leur propriétaire dès que possible.
L’attaché de presse de M. Harper, Carl Vallée, a ajouté qu’au lieu de saisir des armes à feu, les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) devraient s’attarder à des tâches plus urgentes, comme la protection des sinistrés.
La première ministre de l’Alberta, Alison Redford, a pour sa part rétorqué que « le gouvernement provincial n’avait pas saisi l’arme de qui que ce soit… La GRC s’est rendue dans des résidences où les armes n’étaient pas bien sécurisées et au lieu de les laisser sur des manteaux de cheminée dans une ville évacuée, elle les a sécurisées » – Radio-Canada, 28 juin 2013
Wake-Up, Dude! Mettre à l’abri des pillards les armes que les sinistrés avaient laissées lousses (et à la vue) en raison de leur départ précipité, ça ne fait pas partie des tâches reliées à la protection des personnes évacuées, ça?
Faut quand même pas empêcher un honnête sinistré d’embrasser sa carabine bien-aimée dès son retour à la maison; ramasser les 120 cm de boue malodorante et la moisissure qui encombrent le sous-sol, ça peut attentre. Mais pas la carabine!
Tough on crime? Mais pas au point d’empêcher non plus un honnête pillard de voler quelques armes à feu dans des maisons abandonnées en raison de la crue des eaux!
C’est ça, la doctrine Harper. Une paranoïa mur-à-mur. Et après moi le déluge.
Épilogue
C’est le citoyen qui est souverain – collectivement; Ottawa et Québec n’exercent qu’un pouvoir fiduciaire délégué par la population au moment où elle se présente aux urnes. Et quel qu’il soit, un gouvernement devrait garder à l’esprit que le budget qu’il gère, c’est l’argent de nos impôts.
Les 8 millions de Québécois – qui sont en même temps 8 millions de Canadiens – ont élu à Québec un gouvernement qui souhaite conserver le registre, en même temps que 85% d’entre eux envoyaient à Ottawa des députés Néo-Démocrates, Libéraux ou Bloquistes qui souhaitaient ou bien conserver intégralement le registre existant, ou, accessoirement, en céder les données au gouvernement du Québec.
La logique – et le sens de l’éthique la plus élémentaire – répugnent à ce qu’une main invisible empêche le contribuable québécois qui a payé de ses impôts la compilation et la gestion de données de les transférer de la poche de son pantalon vers la poche de son veston. Ces données n’appartiennent ni au Premier-Ministre du Canada ni à la Première-Ministre du Québec; elles appartiennent à Jos Contribuable. Or, dans sa version Québécoise à tout le moins, Jos Contribuable veut conserver pour un usage futur ces données dont il a déjà payé pour qu’elles soient rassemblées.
Sont-elles vraiment utiles, ces données? La réponse à cette question n’est même pas pertinente au débat. Stephen Harper n’a surtout pas à répondre à cette question, ni pour moi, ni pour le gouvernement du Québec, ni pour une majorité écrasante des contribuables Québécois.
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[1] le père de l’éditorialiste André Pratte a siégé brièvement à la Cour Suprême
[2] les politiques des Conservateurs en matière d’assurance-emploi constituent une arme de destruction massive de l’industrie de la pêche commerciale; un peu plus, et on pourrait croire que ces politiques dévastatrices constituent des mesures de représailles à l’égard des pêcheurs côtiers Britanno-Colombiens qui font obstacle aux projets de pipeline destinés à désenclaver l’Alberta et la Saskatchewan et à leur donner accès au riche marché chinois. marchés internationaude leur m