Dans une autre vie,Thomas Mulcair a été ministre de l’environnement.
Voilà – comme par hasard – qu’avec son hypocrisie habituelle, le gouvernement Harper s’apprête justement à noyer le poisson, au propre comme au figuré:
un ancien fonctionnaire de Pêches et Océans révélait les modifications que le gouvernement Harper s’apprêterait à apporter à la Loi sur les pêches dans la prochaine loi omnibus sur le budget. L’adoption du budget a l’avantage de se faire sans les débats, les consultations publiques et les procédures exigées pour l’adoption des projets de loi ordinaires, avec comité parlementaire, etc. – Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 15 mars 2012
La communauté scientifique n’a pas mis de temps à réagir:
Une vague de fond s’est levée dans la communauté scientifique canadienne contre le projet du gouvernement Harper d’affaiblir la Loi sur les pêches à l’occasion du prochain budget en y faisant disparaître l’interdiction historique d’altérer de quelque manière que ce soit l’habitat du poisson.
En effet, 625 chercheurs et spécialistes en biologie des milieux marins, aquatiques, en environnement et de différentes disciplines scientifiques relatives aux espèces aquatiques ont fait parvenir hier une lettre au premier ministre Stephen Harper dans laquelle ils lui demandent «d’abandonner prestement cette initiative» qui, écrivent-ils, «mettrait en péril de nombreuses populations de poissons ainsi que les lacs, les estuaires et les rivières qui les supportent».
[…] La liste des 625 signataires fait 27 pages. On y retrouve 18 membres de la Société royale du Canada et 30 directeurs de chaires scientifiques reliées au secteur des pêches et des habitats aquatiques. – Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 22 mars 2012
L’enjeu? L’article 35 interdit toute altération, tout dérangement ou toute destruction de l’habitat du poisson. Cette disposition agace le Fédéral, en lui imposant une évaluation environnementale de tous les grands projets industriels – dont les oléoducs – qui traversent des cours d’eau et modifient ainsi l’habitat du poisson. Ces contraintes ont pour effet de ralentir la mise en marche des grands projets reliés à l’exploitation et au transport des produits pétroliers dans des milieux dits « sensibles ». La solution des Conservateurs? Éliminer les contraintes reliées à la protection de l’environnement.
Voilà de quoi titiller la fibre environnementaliste du tout nouveau chef de la loyale opposition de Sa Majesté; il aura de quoi montrer les crocs (c’est un pitbull!) et les planter dans les mollets du ministre des Pêches et Océans, Keith Ashfield, et du ministre responsable du budget, Jim Flaherty. Go, Mulcair, Go!
Note de la rédaction: Keith Ashfield a été ministre des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick. Ses électeurs vont sans doute être fiers de sa prestation qui tient davantage de la puterie que du travail d’un Ministre de Pêche et Océan.

Il convient de noter que l’initiateur de cette mise en garde collective est un biologiste Albertain de réputation internationale, D. W. Schindler [1]. Je me permets de citer certains extraits de cette lettre, dont le texte intégral est reproduit dans le Vancouver Observer, un média internet progressiste.
Based on media reports, we understand your government’s desire to speed up the approval processes for large economic development projects. We believe, however, that the weakening of habitat protections in section 35 of the Fisheries Act will negatively impact water quality and fisheries across the country, and could undermine Canada’s attempt to maintain international credibility in the environment.
[…] In summary, if your government wishes to change the wording of the Fisheries Act or other laws affecting the health of Canada’s ecosystems, we recommend that you ensure that any new legislation be based on the best science available. It is critical that any changes do not jeopardize the environmental support system on which we and future generations depend.
Cette brochette de scientifiques de premier plan s’insurge aussi contre l’idée de ne protéger l’habitat du poisson que dans le cas des «pêcheries de valeur économique, culturelle et écologique», d’ajouter le journaliste Louis-Gilles Francoeur.
«Ceci ne fait aucun sens du point de vue scientifique ou économique, écrivent-ils. Toutes les espèces ont une valeur écologique, un fait d’ailleurs reconnu par la loi actuelle.»
Réactions des lecteurs du journal Le Devoir :
Tâche difficile que celle de convaincre un imbécile qui se prend pour un souverain élu par Dieu. Un individu comme Harper ne comprend pas la raison , il n’entend pas sa voix. – M. Miclot
Ce à quoi un certain André Chevalier a répondu: Mais il entend des voix.
Un autre écrivait: Cette décision est d’une inconscience abyssale. Elle équivaut à détruire l’écosystème, rien de moins. Tout ça pour plaire à l’industrie du pétrole sale d’Alberta, base de leur électorat. C’est le Québec qui perdra le plus à cause de ses nombreux cours d’eau. Des poursuites judiciaires devraient être engagées.
Favoriser l’Alberta aux dépens du Rest of Canada (incluant le Québec)?
Je ne suis pas d’accord avec la conclusion de ce dernier lecteur à l’effet que le Québec sera le grand perdant de cette entourloupette, mais nous nous entendons sur un point: Tout ça pour plaire à – ET POUR FAVORISER – l’industrie du pétrole sale d’Alberta, base de leur électorat.
Des 10 provinces et trois territoires, seules l’Alberta et la Saskatchewan n’ont pas d’accès à l’une ou l’autre des trois grandes Mares qui cernent le Canada à l’Ouest, au Nord et à l’Est. Et comme par hasard, ce sont des provinces productrices de pétrole. Et ce sont deux provinces acquises (soumises?) au Parti Harper.
Il existe bien une industrie de la pêche, en Alberta.
Alberta does have a commercial freshwater fishing industry, but it is very small. […] Compared to the province’s billion-dollar beef business, or to Canada’s $2 billion-plus fishery and an aquaculture sector alone worth more than $500 million, the commercial fishery in Alberta is, for lack of a better term, a small fry.
Pour le gouvernement Harper, il est donc indifférent de sacrifier le cheptel poissonnier à l’autel du Dieu Pétrole; son Alberta bien-aimée n’en souffrira pas une saprée miette! Par contre, le projet de pipeline vers l’Arctique ou vers un village de pêche côtier en territoire autochtone brittano-colombien, lui, risque d’en être largement favorisé…
Les scientistes ont crié leur dégoût; il est temps que l’opposition officielle prenne la relève et porte à son tour le flambeau.
Le Québec, lui, a déjà compris: l’appui de sa population aux Conservateurs y est minimal. Il est temps que l’Ontario constate à son tour que la pire calamité qui puisse frapper la province, c’est le renouvellement du mandat de Stephen Harper en 2015. À vrai dire, ce gouvernement attaque le Québec et l’Ontario sur tous les fronts, que ce soit par ses politiques énergétiques qui soutient le pétrole albertain aux dépens des exportations manufacturières [2] ou par ses politiques environnementales qui sapent la crédibilité du Canada, ou encore par ses politiques répressives qui augmentent les coûts déjà élevés de l’administration de la justice.
Voilà qu’il s’attaque maintenant aux pêcheries. Mais la modification de l’article 35 de la Loi. par le biais inapproprié (et hypocrite) d’une loi fiscale, risque maintenant de saper les efforts de tout un chacun en matière de protection de l’environnement et de répression des abus. Je cite encore une fois Louis-Gilles Francoeur:
Cet article [35, que le Fédéral cherche àédulcorer] est le plus facile d’application, y compris au Québec, où plusieurs ministères l’utilisent souvent contre les braconniers, les remblayeurs ou les pollueurs, en raison de la simplicité de la preuve, de nature généralement matérielle.
Tough on crime, qu’ils disaient. À la condition de ne pas toucher aux tinamis du Parti…
___________
[1] D. W. Schindler OC, AOE, D Phil, FRSC, FRS, Killam Memorial Chair and Professor of Ecology, 2001 Gerhard Herzberg Canada Gold Medal, 2001 Stockholm Water Prize, 2006 Tyler Prize, G.E. Hutchinson Medal (Association for the Sciences of Limnology and Oceanography), Department of Biological Sciences, University of Alberta
[2] le syndrome hollandais, dont mon ami Darwin (économiste) a déjà traité abondamment