
Une fois n’est pas coutume: l’image composite qui coiffe ce billet mérite quelques explications. Quelques citations en surimpressions, tirées de la page Facebook de quelques-uns de nos valeureux soldats. De même que, juste en dessous, le monument du Royal 22e, Place George V, à Québec. Avec quelques carrés rouges, que des étudiants avaient collés là au gré de leur conflit avec le précédent gouvernement. Et en toile de fond, des militaires lourdement armés.
Mal inspirés par leur enthousiasme débridé, les étudiants n’ont pas mesuré l’impact qu’aurait la « décoration » du monument érigé à la gloire du 22e Régiment; ils n’ont pas connu la guerre, et la symbolique de leur geste leur a échappé. En guise de réaction, quelques néo-démobilisés et membres actuels du Régiment ont vomi sur la Toile des commentaires odieux, indignes du rôle qu’on leur a confié. Je reviendrai plus loin sur ces propos.
Pour l’instant, un sujet plus « contemporain« : le faux Ben Laden de Greenwood, Nova Scotia
Les Forces canadiennes ont ouvert une enquête sur une vidéo au contenu raciste, qui a été diffusée dans la base de Greenwood, en Nouvelle-Écosse.
L’enregistrement, dont CBC a obtenu copie, montre notamment un militaire canadien maquillé et déguisé, qui se fait passer pour un frère d’Oussama ben Laden. La vidéo a été produite pour un dîner organisé dans la base en janvier 2010. À ce moment, le Canada effectuait toujours une mission de combat en Afghanistan. Environ 2800 militaires étaient postés dans la base.
Pendant 4 minutes, le militaire grimé s’exprime avec un fort accent simulé […] affirme aussi que son personnage réside à Vancouver où il est chauffeur de taxi. Il lance, comme s’il parlait à des enfants, de ne pas s’approcher du taxi parce qu’il est bourré d’explosifs, et il les menace d’aller chez eux pour agresser sexuellement leurs chèvres.
Les militaires avaient reçu l’ordre de détruire cette vidéo, mais une copie a fait surface il y a quelques semaines. – CBC, 8 novembre 2012

Tant sur les sites français et anglais de la CBC, la majorité des commentateurs considèrent ce vidéo comme tout à fait approprié. De l’humour, qu’ils disent… Pourtant, on m’a qualifié d’antisémite pour bien moins pire que ça! M’enfin… De l’humour? Ouin… mais personne n’a vu le clip dans son entièreté.
De toute évidence, et dans la mesure où il avait ordonné la destruction de toutes les copies en circulation, l’État-Major ne partage pas cette opinion. L’État-Major avait sans doute compris que ce genre d’humour risquait de mettre en danger les militaires canadiens dépêchés en Afghanistan. Entre autres conséquences malheureuses…
C’est sans doute ce genre d’humour qui a rendu les responsables de la sécurité du Premier-Ministre assez circonspects pour ordonner le transport de la limousine blindée des Harper en Inde à l’occasion d’un séjour de moins d’une semaine. Coût: 20 heures de transport, à un coût supérieur à 20000$ l’heure. Bof! Autant que le coût annuel de 3 députés! Dire que Bev Oda a été démissionnée pour un verre de jus d’orange et quelques nuitées dans un hôtel douze étoiles… Misère!
C’est sans doute ce genre d’humour qui a rendu les responsables de la sécurité du Premier-Ministre assez paranos pour passer des enfants de 3 ans au détecteur de métal avant que Stephen Harper ne dépose de sa main et devant les caméras quelques bonbons au creux de leur citrouille en plastique.
Avant que les Royal Canadiens soldats ne s’adonnent à ce genre d’humour, ni Diefenbaker, ni Pearson, ni Trudeau, ni Clark, ni Mulroney, ni Chrétien, ni Martin n’avaient eu peur d’être victimes d’un attentat terroriste perpétré par un bambin masqué.
Les temps changent. L’humour et les bambins aussi…
L’Armée? Pour kossé faire?
Pourquoi les a-t-on déployés en Afghanistan, nos petits soldats? Pour y défoncer l’ordre établi par les intégristes? Pour permettre aux petites filles d’aller à l’école? Pour instaurer la démocratie? Pour rétablir et maintenir la paix? Alors comment l’Armée peut-elle tolérer l’intégrisme dont certains de ses membres font preuve?
Comment l’Armée peut-elle tolérer que des soldats puissent se réjouir du fait qu’une étudiante ait reçu une balle de caoutchouc dans l’oeil ou qu’elle ait perdu quelques dents? Comment l’Armée peut-elle tolérer le mépris dont certains de ses membres ont fait preuve à l’égard de cette portion de la population « autochtone » du Québec que formaient les étudiants dont la hausse considérable des droits de scolarité risquait de compromettre le droit à l’éducation? Comment l’Armée peut-elle accepter qu’une partie de ses effectifs puissent perturber la paix sociale par leurs propos aussi débiles qu’incendiaires?
Comment l’Armée canadienne peut-elle tolérer, sinon même encourager l’intolérance à la différence au sein de ses troupes? C’est cela, le modèle de démocratie pour laquelle elle s’est battue contre les « méchants » d’Afghanistan? Une société qui ne tolère pas la dissidence et la contestation? Et comment les Forces de sa Royale canadienne Majesté peuvent-elles traiter les écarts de conduite avec une telle désinvolture – qui constitue presque une forme d’approbation?
Une condamnation du bout des lèvres
«Only the strong survive, les petits communistes trop fifi, vous manifestez, bin assumez. Il faudrait un système national-socialiste [pour envoyer] au camp de concentration les faibles […]»
«Din dent chienne de hippie communiste [sic]», ajoute un autre internaute. «Est chanceuse, c juste une dent attender que larmer debarque aik nos 12 a balle de rubber vs allez vous calmer les nerfs jpense [sic]», renchérit un troisième.
[note: l’auteur de cette perle est le Caporal Kevin Bernard, du 5e Groupe Brigade Mécanisé du Canada, confirme le journaliste Jean-François Néron le 22 septembre]
«Ça ne reflète pas les valeurs des Forces canadiennes. C’est même déplorable. On peut voir qu’il y a du racisme là-dedans et ça n’a pas sa place dans les Forces armées canadiennes», lance la capitaine Julie Brouillette – Jean-François Néron, Le Soleil, 10 mai 2012
Au moins quatre militaires de Valcartier subiront un procès sommaire pour des propos haineux tenus au printemps sur les réseaux sociaux pendant la crise étudiante.
«Ouais manifester a Aushwitz, dans les petite chambre spéciale bande de connard, on va les réouvrir juste pour vous! [sic]»
C’est ce genre de commentaires publiés sur Facebook en mai qui a fait l’objet d’une enquête menée par l’armée. «Les accusations sont de nature disciplinaire pour avoir porté préjudice au bon ordre et causé un discrédit aux Forces canadiennes», explique la capitaine Julie Brouillette… – Jean-François Néron, Le Soleil, 11 septembre 2012
Un militaire de Valcartier écope d’une amende de 1000 $ pour avoir tenu des propos haineux sur Facebook. Le caporal Kevin Bernard a reçu sa sentence vendredi après que des accusations de nature disciplinaire eurent été déposées contre lui par les Forces canadiennes. Aucune mention disciplinaire pouvant nuire à sa carrière ne sera portée à son dossier. […] Le major André Saint-Amand explique que ce genre de propos n’est pas toléré par les Forces canadiennes. « Ça pourrait nuire à notre impartialité. On comprend que tous les membres des Forces canadiennes ont droit à leur opinion personnelle, ont le droit de bénéficier de la Charte des droits et libertés. Cependant, ils ne peuvent communiquer ces opinions au nom des Forces canadiennes. » – Radio-Canada, 21 septembre 2012
C’est le deuxième caporal à être puni pour propos haineux. En moins d’uns semaine.
Lundi, un autre soldat, le caporal Maxime Latulippe, a aussi été condamné à verser un montant de 1000 $ «pour avoir publié dans Internet des commentaires tendant à jeter le discrédit sur les Forces canadiennes», disait l’acte d’accusation, le même que son collègue. Les deux hommes auront aussi une tache à leur dossier, ce qui pourrait «ralentir» leur cheminement de carrière dans l’armée. – Jean-François Néron, Le Soleil, 22 septembre 2012
« Ça nuit à l’image de marque de l’Armée! »
… mais pour le reste, on s’en crisse! On comprend que tous les membres des Forces canadiennes ont droit à leur opinion personnelle, ont le droit de bénéficier de la Charte des droits et libertés, d’affirmer le Major André St-Amand!
La Charte des droits? Fuck la Charte des Droits: le Code Criminel prohibe la diffusion de propos haineux. Period! Mais bien sûr, si les officiers supérieurs ne sont pas mieux informés de la limite des droits de ces jeunes militaires dont les Forces Canadiennes assument l’éducation et la formation, comment saurait-on espérer que leurs officiers formateurs leur inculquent la moindre notion de savoir-vivre?
Ah, bien sûr, leurs lits doivent être impeccables, tout comme le pli de leur pantalon ou le lustre de leurs chaussures. Mais pour les mauvais plis ou le lustre en matière de comportement, on repassera!
Ça pourrait nuire à notre impartialité, disait encore le Major St-Amand. Bullshit! L’impartialité des militaires, je ne miserais pas vraiment là-dessus. Combien d’entre eux ont condamné les arrestations massives ou les comportements inacceptables, de la part – à titre d’exemple – de cette vache enragée qui portait le matricule 728 au SPVM? De la part de ces autres policiers mal informés qui arrachaient leur caméra à des citoyens aux fins d’effacer des images compromettantes pour la police?
Dans ces deux exemples, au nom de la Loi et l’ordre, des policiers ont adopté un comportement criminel susceptible de leur faire perdre leur job. Effacer des images compromettantes, c’est nuire à une enquête et détruire – ou tenter de détruire – de la preuve, ce qui est pas mal plus grave que le fait de casser une vitrine! Mais on n’enseigne pas ça aux policiers. Pas plus qu’aux militaires. Ce qui tend à expliquer ces comportements déviants et des prises de position particulièrement engagées dans le sens de la répression.
D’ailleurs, le Major a lui-même très mal compris: ce n’est pas l’impartialité de l’Armée qu’il cherche à améliorer, mais plutôt la PERCEPTION d’impartialité au sein du public.
Améliorer l’impartialité des militaires, ce serait une excellente chose. Mais améliorer la perception qu’a le public de l’impartialité des soldats, ça, ça relève davantage du marketing et de l’hypocrisie. Et à vrai dire, leur impartialité, je ne compte pas trop la-dessus.
Ce qui m’inquiète, par contre, c’est la capacité des militaires à réagir en situation de crise quand ils tiennent un fusil mitrailleur à la main! Les propos qu’ont tenu ceux que les Forces ont traduit en justice disciplinaire, ce ne sont pas les propos de quelqu’un qui est en parfait contrôle de lui-même. Des psychopathes? L’État-Major ne semble pas s’en préoccuper.
Tous ces soldats qui ont vécu l’Afghanistan sont-ils revenus ici avec un cerveau intact, ou sont-il au contraire affectés d’un syndrome post-traumatique qui en fera des bombes prêtes à exploser à la moindre contrariété? L’Armée s’est montrée plutôt indifférent aux besoins de ses Anciens Combattants de date récente, à qui il manque un bras ou un pied. Et pourtant, le besoin est visible et la réinsertion dans la société civile, souvent difficile.
Les besoins d’ordre psychologique? L’essentiel est invisible pour les yeux, disait le Petit Prince de St-Exupéry, alors l’Armée s’en lave les mains. Indifférent aux besoins des Anciens combattants, disais-je? À vrai dire, le gouvernement Harper n’a pas hésité à investir trois quarts de million dans une bataille judiciaire qu’il a perdue et dont il était écrit dans le ciel qu’il allait la perdre. L’attitude du Fédéral va au delà de l’indifférence: c’est du harcèlement. Alors, les petits soldats de plomb, vous êtes toujours d’opinion que les p’tits fifs communissqui s’opposent à l’ordre établi méritent de se faire crever un oeil?
Le sens du respect
Nos petits soldats sont incapables d’accepter au Québec que des étudiants étrangers à leur culture militaire (militariste) affichent des opinions socio-politiques différentes des leurs, et ça donne lieu à ces débordements observés sur Facebook.
Quelle image projettent-ils du Canada à l’étranger, eux qui se moquent à Greenwood – et avec l’accord de leurs officiers! – des traits culturels de ceux qu’ils sont chargés de pacifier? Eux qui se vautrent dans les préjugés et les stéréotypes les plus abjects, que ce soit chez nous ou à l’étranger.
Ça n’est pas aux petits soldats de renverser la situation et de retricoter la culture militaire. L’exemple doit venir d’en haut. Mais tant que les gens d’en haut vont inventer des motifs visant à justifier ces comportements déviants, c’est pas à moi que la Royale Canadienne Armée va imposer le respect.
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Mon ami G.B – à ma connaissance le plus vieux membre de la confrérie des Anciens Combattants de Rouyn-Noranda, est décédé récemment, à l’âge de 89 ans. Ce billet me donne enfin l’occasion de lui rendre publiquement hommage.