Des maux, des mots. Des mots aussi dérisoires que les maux sont lourds et affligeants.
Des mots qui témoignent de l’insoutenable fragilité de la vie…
Mes condoléances les plus sincères (je suis vraiment sérieux et je le dis sans aucune arrière-pensée) pour ta fille, ton gendre et tes deux petites-filles!!! C’est fou comme elle te ressemblait!!! – Jean-Luc Proulx, 8 janvier 2013
Merci, Jean-Luc.
J’ai choisi d’illustrer ma douleur au moyen d’une image aussi lumineuse que possible, que j’avais prise aux chutes Dorwin, à Rawdon, le 8 août dernier. Là même où une jeune mariée s’est noyée quelques jours plus tard pendant une séance de photos. Oui, l’endroit est magnifique. Mais en même temps… Je m’y trouvais avec mes trois enfants, tous visibles sur la photo, avec quelques-uns des 12 enfants qui nous accompagnaient. Nous étions sept adultes; moi, j’avais préféré me tenir à l’écart des flots et surveiller les flos…
Mia n’était pas ma petite-fille, au sens biologique du terme… mais aussi loin qu’elle pouvait reculer dans ses souvenirs d’enfant, j’étais pour elle l’un de ses « Papy »; quand elle est entrée dans nos vies, elle avait 3 ans, tout au plus et depuis, elle faisait partie de la famille. Émy-Rose et Mia s’aimaient beaucoup.
Le parcours de Stéphanie, Dany, Émy-Rose et Mia a pris fin abruptement alors qu’ils traversaient la Réserve LaVérendrye le 2 janvier dernier [1]; la Ford Taurus dans laquelle ils prenaient place a été littéralement sciée en deux et le corps de ses occupants projeté sur la chaussée – et même au delà. Les images et la nouvelle avaient ému le Québec entier. Une famille décimée, titraient les journaux. Sauf que Josiane, la maman de Mia, va demeurer avec ses cauchemars.
Comme moi, d’ailleurs. Nous sommes cinq parents – et six grands-parents anéantis. Mais néanmoins soulagés à la pensée que nos êtres chers n’ont pas souffert.
Non, je ne suis ni amer, ni en colère. Ni contre l’entretien de la route, ni contre l’autre conducteur, ni contre mon gendre, qui tenait le volant. Démoli. Seulement démoli, si je puis dire… Et résolu à porter le flambeau, un peu à la manière d’un certain Pierre-Hugues dont le dévouement à la cause des parents orphelins a été récupéré et récompensé par une nomination au Sénat. Sauf que, à la différence du Mossieu, je ne serai jamais l’homme d’une seule cause, moi.
Mon député devait s’entretenir ces jours-ci de l’entretien de la route 117 avec le Ministre des transports. Or le problème n’en est pas un d’entretien, mais de configuration; aux prises avec des budgets serrés, le Ministre va lui opposer une fin de non-recevoir, l’affaire sera classée, le député va se péter les bretelles, le Ministre va s’en laver les mains et la route 117 va continuer à prélever son lourd tribut. Du moins, c’est comme ça que le scénario avait été écrit.
Contrairement à ce Justicier-Sénateur, je ne vais pas crier vengeance. Marteler ce clou-là, comme le fait l’autre, ce serait me tromper de cible; on pourra tripler la qualité de l’entretien, multiplier la surveillance policière, décupler les sanctions et emprisonner les contrevenants qu’on ne parviendra pas à régler le problème.
Entre les extrémités Nord et Sud de la Réserve LaVérendrye, la 117 serpente sur 200 km et on n’y trouve qu’un seul point de ravitaillement (essence, repas, hébergement). C’est une route en milieu isolé. La seule qui permette de joindre l’Abitibi et la Baie James au sud de la province, à moins d’accepter un long détour par l’Ontario ou par le Saguenay-Lac-St-Jean… Le trafic y est lourd. Très lourd, et de plus en plus dense. Transport forestier. Approvisionnement des populations du Nord. Et Jean Charest a annoncé son Plan Nord sans même avoir prévu l’amélioration des infrastructures routières entre le Moyen-Nord (l’Abitibi) et le « Sud« , ce qui constitue en soi une aberration. Et non, la voie ferrée n’est pas une alternative à la route; le réseau ferroviaire n’est ni développé, ni adapté. Pire, ce réseau de pacotille, ils l’ont charcuté au cours des dernières décennies.
Bref, dans le Parc – comme on l’appelle improprement, il y a trop souvent de quoi pousser le conducteur le plus prudent à faire preuve d’impatience quand il se retrouve coincé derrière un poids lourd incapable de gravir les montées ou bien trop soutenues, ou bien trop accentuées. Et je ne parle pas ici de ces conducteurs timorés qui croient faire preuve d’une extrême prudence quand ils roulent à 60 sans égard à ces longues files qui se forment derrière. Quand j’ai quitté le 3 janvier pour Montréal, l’une de ces tortues inconscientes a inspiré un conducteur téméraire à enfiler huit véhicules à la fois – dont celui dans lequel je prenais place – dans une zone où tout dépassement était interdit. Ce faisant, il a évité de justesse un face-à-face.
Cela dit, Dany était un excellent conducteur. Prudent, patient, respectueux, expérimenté, intelligent. Je le sais, pour avoir parcouru avec lui des centaines de km dans toutes les conditions routières; Stéphanie était beaucoup plus agressive au volant.

Cette photo est un montage. Stéphanie était en visite chez moi en juin 2011, mais Émy-Rose et le chaton, ça date de l’été 2012. Le chaton, c’est Charlot – d’abord connu sous le nom de Charlotte. Mais on lui avait trouvé des attributs qui rendait le changement de nom plutôt inévitable…
Et maintenant?
Et maintenant, il faudra faire de la 117 une route à la hauteur de sa mission et des besoins auxquels elle est appelée à répondre. Après tout, elle constitue un tronçon de la transcanadienne, au même titre que la 20 En même temps, il faudra en faire une route à la hauteur des standards établis par la route 175 qui relie Saguenay à Québec.
le député conservateur du comté fédéral de Chicoutimi-le-Fjord André Harvey faisait pression auprès du gouvernement canadien pour faire reconnaître la 175 comme route faisant partie du Réseau national canadien et de l’inscrire dans les priorités du Programme stratégique d’infrastructure routière (PSIR). Appuyé par une coalition d’une dizaine d’organismes du Saguenay-Lac-St-Jean […], les démarches d’André Harvey sont couronnées de succès au mois d’août 2002 alors que le Premier ministre du Canada Jean Chrétien et le Premier ministre du Québec Bernard Landry, annonçaient à Saguenay l’élargissement de la route 175 à quatre voies divisées.
Le 7 mai 2004, le Premier ministre du Canada Paul Martin et le Premier ministre du Québec Jean Charest signaient à Saguenay l’accord de financement portant sur l’élargissement à quatre voies divisées de la route 175. Cet accord prévoyait des investissements de l’ordre de 525 millions $CAN pour la première phase du projet. En septembre 2008, une entente cadre est conclue entre Québec et Ottawa afin d’allouer une somme de 112,5 millions $CAN pour la phase 2 du projet. – Wiki
Je veux bien comprendre que la 175 était plus vallonnée que la 117, qu’il s’y accumule plus de neige et que le trafic y est plus dense. Je veux bien que la 175 ait été rendue dangereuse par la présence d’orignaux. Mais des orignaux, on en a aussi sur la 117! Et si la 175 a pu être considérée comme faisant partie du Réseau National Canadien alors qu’elle est vraiment à l’écart du réseau routier inter-provincial, à plus forte raison la route 117 – un tronçon de la transcanadienne – devrait-elle aspirer à ce statut qui pave la voie (!) aux accords de financement conjoint entre le fédéral et le Québec.
Julie, l’une des deux filles de Pierre-Hugues Boisvenu a été assassinée en juin 2002. On oublie trop souvent sa soeur Isabelle, qui s’est tuée le 22 décembre 2005 sur la route 117 alors qu’elle se rendait en Abitibi. Peut-être sera-t-il prêt à lever le poing pour Isabelle sans pour autant porter ombrage à la mémoire de Julie?
Pour le reste, que les lecteurs qui me sont restés fidèles malgré ce long silence se rassurent: je ne vais pas cesser de hurler mon indignation devant la bêtise. Même si l’actualité récente m’a donné un nom et un prénom, je ne cesserai pas d’être Papitibi.
Il me reste encore des enfants à aimer et des petits-enfants à chérir, parmi lesquels quatre n’ont pas encore trois ans. Je vais donc pas davantage cesser d’être un papy…
__________
[1] La vue des images de l’impact me demeure insoutenable, non pas seulement parce qu’elle laisse deviner l’importance des blessures subies, mais également parce que deux autres de mes petites filles ont croisé la scène de l’accident et reconnu le char de matante Stef, le siège d’auto sur lequel prenait place Émy-Rose et le gros toutou rose que l’on y voit. Elles ont été les premières à « savoir » le nom des victimes, et ce, avant même que les corps ne soient identifiés et la police en route vers le domicile des familles.
Et ça, ça me fait mal. Comme si c’était pas déjà assez douloureux.
Je n’avais pas vu les images diffusées à LCN et sur les sites internet des médias Québécor bien avant que la police n’avise les familles. Si je les avais vues, bien sûr que j’aurais reconnu la voiture et deviné le décès des occupants. Soit, ils ont eu le scoop. Mais pour le respect des familles, on repassera…