J’étais dans la cour du collège, au milieu d’un groupe de 6 ou 8 collégiens portant le veston marine de rigueur, au revers orné de cet écusson brodé or dont je ne me suis jamais départi depuis. Forts de ce remarquable sens politique propre aux adolescents surdoués que nous étions tous, nous étions sans doute occupés à sceller entre nous le sort du monde quand la terre a tremblé de tous ses membres.
Bouboule, c’était ce prof d’anglais qui exhibait ses ventrailles exubérantes avec ostentation, sinon même avec fierté. Le lard, c’est la santé! Mais il était à ce point affable, empressé et attentionné qu’aucun d’entre nous n’aurait même songé à nous gausser de sesmasses adipeuses! André Laprade, qu’il s’appelait.
Sorti en trombe du Collège, Prof Bouboule s’était dirigé vers le groupe d’étudiants le plus rapproché. C’était nous. Court, trapu, les cheveux blond-roux lissés vers l’arrière et le visage rougi par cet effort surhumain, l’homme surgit, haletant, effondré, les yeux livides. Il cherchait ses mots:
Le président… le président… ils ont tiré sur le président, je pense qu’il est mort.
Cinquante ans plus tard, et aussi odieuse que puisse sembler la comparaison entre ce fou furieux qu’est Rob Ford et cet estimé Bouboule, c’est l’image du maire de Toronto que Laprade évoque en moi. Physiquement, le clown en est le clone.
Il n’avait ni repris son souffle ni pris le temps d’en dire davantage que déjà il était reparti vers un autre essaim de lycéens. Certes, nous partagions cette conviction profonde que ce groupuscule de soldats du Savoir auquel nous appartenions était formé de la fine fleur de l’analyse politique; les Collèges classiques ne formaient-ils pas les élites de demain, qui devenues depuis les élites d’hier?
Aussi, et à défaut de précisions sur l’identité de ce Président qui venait d’être abattu, nous avions tout lieu de croire que c’est De Gaulle qui venait de tomber sous les balles des Pieds-Noirs. Lire la suite