Les Cent-Papieristes soulèvent, à l’occasion, des questions intéressantes. Mais pour la qualité de l’argumentation, on repassera.
Ce 11 janvier, Olivier Cabanel se faisait l’écho de propos tenus par Alain Minc. Proche de Nicolas Sarkozy, homme d’affaires, conseiller politique et économique, commandeur depuis 2008b de la Légion d’Honneur, Minc, lui-même d’origine juive, est un personnage qui fait des vagues, comme celle-ci, le 25 août 2010, alors que ses propos puaient la germanophobie…
Ce Pape allemand ? Parler comme il a parlé ? En français ? […] Son insensibilité qu’on a mesurée quand il a réinstallé un évêque révisionniste, son insensibilité à l’histoire, dont il est comme tous les Allemands un héritier […] On peut discuter (de) ce que l’on veut sur l’affaire des Roms, mais pas un Pape allemand.
Ce Cabanel a donc publié, sut CentPapiers, une charge violente contre ce même Alain Minc (à qui je ne donnerais pas le Bon Dieu sans confession!), On achève bien les vieillards.
Interrogé en mai 2010 sur France-Info, Minc se demandait à voix haute dans quelle mesure l’État peut se permettre d’investir des sommes pharaonesques dans la santé de vieillards centenaires:
« J’ai un père qui a 102 ans, il a été hospitalisé 15 jours dans un service de pointe. Il en est sorti. La collectivité française a dépensé 100 000 € pour soigner un homme de 102 ans. C’est un luxe immense, extraordinaire pour lui donner quelques mois, ou quelques années de vie (…) je trouve aberrant que l’Etat m’ait fait ce cadeau à l’œil (…) je pense qu’il va falloir s’interroger sur le fait de savoir comment on va récupérer les dépenses médicales des « très vieux », en mettant à contribution, ou leur patrimoine, quand ils en ont un, ou le patrimoine de leurs ayant droit».
Haro sur Alain Minc
Olivier Cabanel dénonce ces propos de Minc. Avec, malheureusement, bien peu de nuances.
Et surtout, il tire dans toutes les directions.
À Alain Minc, il fait reproche de faits étrangers au débat sur l’opportunité d’investir 100000 € dans les soins dispensés à un centenaire. Bref, plutôt que de débattre avec intelligence de l’opinion qu’avait exprimée Minc dans l’extrait ci-dessus, et plutôt que de lui opposer de solides arguments, il a choisi de s’en prendre à la personnalité du bonhomme et à des fautes qu’il aura commises: plagiat, homophobie, germanophobie, affinités suspectes avec Sarkozy. Et pis après, kâlisse? Est-il correct d’investir 100000 euros dans les soins dispensés à un centenaire, oui ou non? Olivier Cabanel n’aura jamais eu le courage de se prononcer. Il crache. Il cravache. Il hache menu. Il dépèce. Mais il ne propose ni solution, ni argument.
Et pour illustrer à quel point les propos d’Alain Minc lui ont semblé abjects, il cite des exemples de maltraitance, auxquels Alain Minc n’a toutefois rien à voir, comme s’il souhait l’y associer implicitement. Comme si les interrogations de Minc sur l’opportunité de traiter son propre père centenaire étaient une forme d’approbation des comportements criminels qu’il cite en exemple.
Que Cabanel soit un adversaire politique de Minc, je veux bien. Que Minc lui-même puisse considérer sa Benoite Sainteté comme un pape ultra-réactionnaire, je veux bien. Mais, diantre, peut-on cesser de placer tous les Allemands dans le même panier, comme le fait Minc? Ou peut-on cesser de d’inclure tous les vieillards dans la même définition, comme le fait Cabanel? Et surtout, peut-on apporter un peu de des nuances de gris à tous ces propos tout en noir et blanc?
Et si on demandait au malade?
Alors septuagénaire, mon père a subi une intervention chirurgicale au cours de laquelle son coeur a cessé de battre; on venait de lui découvrir un cancer du pancréas – un cancer qui tue 100% de ses victimes.
Et pourtant, on l’a ramené à la vie; il a survécu 30 mois, avant de s’éteindre, à 85 livres.
Belle performance de l’équipe médicale; les jeunes interness en formation ont beaucoup appris, sans doute. Le problème, c’est que mon père est mort deux fois, et nous l’avons pleuré deux fois. Lui-même n’aurait pas accepté qu’on le ressuscite aux seules fins d’enseigner… et de lui permettre de vivre par la suite une longue et douloureuse agonie. Il a payé très cher le prix de cet acharnement thérapeutique. Mais les médecins, eux, s’en sont tenus à leur serment: ils ont sauvé une vie!
Cette résurrection, par ailleurs, de combien d’années aura-t-elle abrégé la vie de ma mère? Elle s’est tuée à son chevet, surtout pendant les derniers mois, alors qu’il était souffrant et qu’il requérait des soins constants. , qui a dû prendre soin de lui par la suite?
Une réflexion nécessaire
Alain Minc a eu raison de soulever la question. Mais il a peut-être eu tort de la soulever en ces termes.
Une réflexion s’impose.
Ce vieillard de 102 ans, jouissait-il encore d’une qualité de vie acceptable? Jouissait-il – tout étant relatif à cet âge – d’une bonne santé générale?
Si on me demandait mon avis, quand j’aurai 102 ans, que je serai (par hypothèse) sourd, aveugle, incontinent, sous dialyse, et alors que toutes mes articulations me feront souffrir, aurais-je tendance à accepter que l’État me prodigue des soins autres que palliatifs? Serais-je prêt à accepter que la mort mette fin à mes souffrances? Ou exigerais-je plutôt qu’on investisse $130000 dans des soins très pointus, afin de me permettre de survivre 2 ans de plus? Ou peut-être 2 mois? Ou, qui sait, 2 semaines? Ou même 2 jours?
= = = = =
Cela étant, mère-grand s’est éteinte à 97 ans, aveugle, atteinte de la maladie de Parkinson, mais pour le reste, en excellente santé et très lucide; elle avait elle-même été hospitalisée 8 ou 9 ans plus tôt, pour une assez longue période.
Je crois bien qu’aucun de ses enfants n’aurait accepté de la laisser tomber à 88 ou à 89 ans. Et elle même tenait à la vie; ils étaient tous de fervents catholiques, après tout.
Ces quelques années de plus m’auront permis de partager la richesse que peuvent représenter aujourd’hui le souvenir des années 1875-1880. Grand-maman Marie était d’âge scolaire au moment de cet affrontement entre Sitting Bull et le Général Custer, en 1876.
Bien sûr, elle ne savait rien de cet affrontement. Ses souvenirs, qui portaient sur la même époque, était tout autres. Mais ils n’en ont pas moins été riches d’enseignement; et force est pour moi de constater que sans tous ces soins qui lui ont été prodigués au tournant de ses 90 ans, le jeune adolescent que j’étais n’aurait jamais pu bénéficier de cette plus-value inestimable.
L’équité, globalement ou à la pièce?
L’État peut-il, et doit-il décemment investir 100000 euros ($130000) dans la santé d’un centenaire?
Dans une société idéale, OUI.
Si deux candidats à la transplantation attendent un nouveau rein, alors qu’un seul est disponible, sur qui devra porter le choix? Sur un homme de 102 ans ou sur un jeune chef de famille, père de 3 enfants dont il assure la subsistance?
Si les ressources financières de l’État étaient illimitées, la question ne se poserait pas. Ce que nous prenons aujourd’hui, d’autres en assumeront les frais dans 20 ou 40 ans. Avons-nous le droit d’hypothéquer aveuglément l’avenir de nos enfants, sans poser la moindre balise?
Et qu’en est-il des ressources humaines? Prodiguer des soins à Pierre, c’est souvent s’interdire de les prodiguer à Jean ou à Jacques. Pour certaines interventions, il faut attendre des mois, voire des années. Le vieillard centenaire, ou le jeune père de famille, dites-moi?
La question est sans doute cruelle, mais il nous faut nous la poser: faut-il établir des priorités et, dans l’affirmative, quels en seraient les critères?
= = = = =
Et si la planète ne parvenait plus à fournir du pétrole en quantité suffisante, exigera-t-on des Américains et Canadiens qu’ils se serrent la ceinture, ou augmentera-t-on le prix de la ressource jusqu’au point au delà duquel les nations moins riches doivent abandonner?
Même question pour la nourriture: augmenter les prix, ou distribuer plus équitablement?
Revenons maintenant aux soins de santé: en arrivera-t-on à distribuer les années de vie plus équitablement, entre un vieux Français de 102 ans et de jeunes Africains qui ne célèbreront pas leur 3e anniversaire si on ne détourne pas certaines ressources à leur bénéfice?
Voyez, M. Cabanel, c’est là-dessus que j’aurais aimé vous lire, plutôt que de vous voir « démolir » Minc. Et cela, sans égard au fait qu’il ait mérité, ou non, les baffes que vous lui servez.
En somme, toute médaille n’a-t-elle pas son revers?