Au moment où le policier des ponts et chaussées – Jacques Duchesneau – accapare les écrans et les salles de presse avec ses conclusions-choc, il m’a semblé opportun de rappeler ces paroles censées d’un censeur de l’État en manque de moutons.
Autrement dit, tant et aussi longtemps que le gouvernement va intervenir dans l’économie, il y aura de la corruption. Quand l’État se charge de distribuer des milliards, il ne faut pas se surprendre de voir autant de corruption. Chacun est prêt à faire n’importe quoi pour avoir le droit de piger dans le proverbial plat de bonbons. –David Gagnon, 22 septembre 2011
Aaaah, le fameux plat de bonbons, thème éculé du Prince d’Antagounie! Si au moins il proposait des mesures propres à en mettre le contenu à l’abri des doigts croches…
…il existe un moyen beaucoup plus simple qui met le gouvernement à l’abri de la corruption: baisser les impôts et déréglementer. De cette manière, au lieu d’avoir des politiciens et des fonctionnaires qui décideront des gagnants et des perdants, tout le monde pourra en profiter; il ne sera pas nécessaire d’avoir tissé des liens étroits avec un politicien ou un fonctionnaire de la Caisse de dépôt pour s’assurer de profiter de la manne. – David Gagnon, 18 septembre 2011
Dé-ré-gle-men-ter? Est-ce que ça n’est pas là une invitation aux doigts croches? Meuh non… les entrepreneurs sauront se comporter dignement, voyons!
Dans une société, plus un gouvernement distribue de permis et d’autorisations, plus les gens auront un incitatif à recourir aux pots-de-vin pour obtenir un permis ou une autorisation. – David Gagnon, 4 octobre 2010
Bin oui! Permission sera accordée à tous de faire n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment, avec n’importe quel matériau… et plus jamais les ponts et viaducs ne vont s’effondrer! Promis!
… l’élimination de la corruption passe obligatoirement par une diminution de la taille de l’État, une solution que les gardiens de la révolution refusent obstinément d’appliquer. David Gagnon, 27 septembre 2010
Évidemment, Gagnon a tout faux.
Ce ne sont pas les fonctionnaires et les polititiciens qui font le choix de l’entrepreneur… dans un régime qui privilégie la soumission la plus basse. mais ce sont les ingénieurs qui rédigent les plans et devis, et depuis que Lulu Bouchard et Jean Charest (deux anciens collègues du cabinet Mulroney) ont sabré dans les effectifs, cette rédaction est confie aux grands cabinets d’ingénieurs-conseils… tous de généreux contributeurs (par personnel interposé) à la caisse du Parti.
Ces gningnégnieurs préparent parfois des plans et devis erratiques, dont certains entrepreneurs pourront bénéficier; suffit de les informer que ce n’est pas 300000 mètres cubes, mais 60000, et les Fabulous Forteen (le cartel des entrepreneurs mafieux) ajusteront leur soumission en conséquence… pour ainsi remporter le gros lot!
À moins que les Fabulous Forteen (dont le nombre peut varier) ) aient su convaincre les concurrents de renoncer au contrat?
Mais comme l’écrivait si bien David Gagnon en décembre 2010, les Ayatollahs ont la foi, les libertarien ont la raison.
Et c’est parce qu’il a la raison de son côté, sans doute, que David Gagnon et sa secte de libertariens idéologues enseignent que le salut est dans le privé. Réduire la taille de l’État et gonfler les effectifs du privé.
Mais qu’est-ce qui coûte le plus cher? La corruption? Ou la collusion entre divers entrepreneurs privés qui s’entendent pour facturer à l’État des services que l’État n’est même plus capable de vérifier qu’ils lui ont été rendus, faute d’avoir maintenu une fonction publique capable de le bien renseigner?
Qu’est-ce qui coûte le plus cher? La corruption de quelques fonctionnaires (le cas échéant), ou tout ce processus mis à jour par l’équipe de Jacques Duchesneau: évasion fiscale, blanchiment d’argent d’où résulte le besoin de payer au noir, fraudes, collusion, surfacturation, absence totale de contrôle à l’interne (en raison d’un manque d’effectifs professionnels de plus en plus flagrant)?
Je ne vais pas résumer les conclusions de l’unité anti-collusion (ci-après le rapport Duchesneau). Je me contenterai d’en citer quelques extraits qui vont dans le sens contraire du crédo libâââârtarien.
Le rapport Duchesneau
Rappelons le contexte: l’unité anti-collusion dénonce ici la réduction systématique des effectifs de l’État en génie civil. D’une part, rappelle-t-elle, le ministère refuse de verser à ses professionnels un salaire décent, ce qui les incite à fuir vers le privé. D’autre part, et parallèlement, l’État a choisi de décapiter sa fonction publique et préféré déléguer ses responsabilités aux grands cabinets de génie-conseil.
L’une des conséquences de ce nouvel état de fait, c’est que l’État laisse systématiquement partir ses meilleurs éléments. Il se prive ainsi de la capacité de former les plus jeunes auprès des vieilles barbes. Pire, rappelait Duchesneau, les ingénieurs qui demeurent au Ministère se trouvent en position de faiblesse lorsqu’ils font face à leurs anciens collègues et supérieurs hiérarchiques, passés au privé. Face à de gros joueurs sans scrupule qui leur opposent des professionnels rusés, compétents, bien au fait des pratiques du ministère, les jeunes ingénieurs du ministère ne font pas le poids, et l’État s’est ainsi placé dans une situation de vulnérabilité qui NOUS coûte cher!
En accord avec le plan de gestion des ressources humaines du Conseil du Trésor, l’effectif total de la fonction publique est en réduction. – rapport, page 14
Confier les travaux à l’externe revient donc à faire systématiquement appel à des personnes mieux rémunérées. Pour le terrassement, par exemple, la conception des plans et devis et la surveillance des chantiers coûtent 72 % plus cher lorsqu’elles sont réalisées par le secteur privé et sont de 131 % plus élevées dans le cas de la couche d’usure. Or ces coûts plus importants n’offrent aucune contrepartie avantageuse et guère de garanties sur le plan des bonnes pratiques. – rapport, page 16
on déplore une perte d’expertise et un affaiblissement de la connaissance de l’état du réseau routier, un réel handicap pour le ministère que cela place en position de dépendance et de vulnérabilité. […]
[le ministère] se retrouve avec des employés très peu sensibilisés à certains risques et qui n’ont ni le temps, ni la formation, ni les moyens pour détecter notamment des signes de collusion; il est dès lors plus difficile au ministère d’en contrer les manoeuvres, si elles se présentent, et d’effectuer des choix éclairés, indépendants et stratégiques pour son propre réseau.
Par exemple, les inspections sont parfois biaisées et cela a un prix. Certaines firmes privées peuvent en effet avoir avantage à sous-évaluer l’état des structures, augmentant du même coup le nombre de celles qui nécessiteront des réparations et, par là, celui de leurs mandats potentiels. De son côté, le ministère est un peu à la remorque de ces avis. – rapport, page 18
Quand le ministère accepte les plans et devis tels que les ont préparés les firmes de génie-conseil qu’il a engagées », sans faire même appel à son sens critique, on peut le croire également incapable d’exercer la vigilance attendue de lui face aux risques de collusion entre ces firmes et des entrepreneurs. Le manque d’attention et de précautions consacrées par le ministère à ce qui partira en appel d’offres fait donc craindre pour l’intégrité du processus. – rapport, page 30
Des témoignages que nous avons recueillis laissent même croire qu’au moment de la préparation des plans et devis, des ingénieurs-conseils et des employés du ministère favoriseraient certains entrepreneurs en leur fournissant des informations privilégiées qui leur permettront de présenter une offre à plus bas prix. – rapport, page 33
Les avenants (« extras« )
Jacques Duchesneau est formel: c’est dans les extras que les entrepreneurs mafieux fourrent le gouvernement. Le truc est sans faille: l’entrepreneur véreux peut se permettre de soumissionner très bas sur l’ouvrage tel que défini aux plans et devis, il aura l’opportunité de reprendre ses billes sur les avenants et autres contrats en cascade.
Question 1 – à laquelle personne ne semble avoir apporté la réponse: SI le gouvernement confiait à ses propres ingénieurs le soin de préparer les plans et devis, correspondraient-ils de plus près à la réalité, et, le cas échéant, cela aurait-il pour effet de diminuer le besoin de recourir à ces avenants?
Question 2 – à laquelle Jacques Duchesneau a répondu en commission parlementaire: si on confie à la firme d’ingénieurs conseils le soin de préparer les plans et devis, ET aussi celui de surveiller les travaux? HALTE-LÀ, nous dit Duchesneau. ALERTE ROUGE! mais c’est pourtant ce qui se passe de plus en plus! Le risque, c’est le conflit d’intérêt. Le remède, bin… il faudrait réglementer, et interdire à une même firme de préparer les devis et de surveiller plus tard la conformité des travaux à des devis qui n’étaient pas nécessairement adéquats!
Ce qui va faire hurler les chacals libâââârtariens! Mais peut-être les ténors de la secte accepteront-ils de bonne grâce le principe d’une plus grande imputabilité des auteurs des devis?
Gagnon plaide en faveur d’une dé-réglementation. Au contraire, Duchesneau préconise – motifs à l’appui – une réglementation plus rigoureuse. À titre d’exemple, affirme-t-il, des entreprises coupables de collusion, de surfacturation et d’évitement fiscal sur les chantiers sont toujours admises à contracter de nouveau avec le gouvernement ou les instances municipales. Les mêmes administrateurs reviennent sous une nouvelle identité corporative sans que personne ne soit en mesure de les en empêcher; il suffirait pourtant d’une réglementation adéquate – réglementation dont ces enfoirés de libertariens préfèrent nous prémunir… au nom de la liberté des entrepreneurs!!!
Je préfère la liberté du contribuable que je suis d’en avoir pour son argent.
Gagnon a toujours eu une mémoire sélective anyway
Les banques aux States ont été déréglementées en masse et qu’est il arrive en 2008?
Et si la privatisation coutais moins cher comment expliquer que les soins de sante aux States coutent plus cher qu’ici et assure pas tout le monde?
S’il y a bien une leçon à sortir de ce rapport, c’est bien celle-là. La preuve parfaite que trop amincir l’État peut être très néfaste.
C’est une preuve de plus que le néolibéralisme nous mène à la folie. C’est bien pour cela que les dretteux n’en prendront pas acte.
J’ignore ce que ça va prendre pour que certains comprennent, j’en déduis que les dretteux résistent plus fortement aux faits que ce que j’avais imaginé.
Ah je voulais vous dire que c’est un très bon billet Papi!
@Koval
Merci (19h43).
Pour ce qui est du 19h42, tu as bien saisi l’angle sous lequel j’ai voulu aborder le rapport de Jacques Duchesneau.
Les leçons à en tirer – sur le plan de l’organisation – sont nombreuses. Mais c’est en pensant aux zamis libârtariens que j’ai fait le synopsis de ce billet.
For what it’s worth; je sais qu’ils ne savent pas lire…