Pain Durivage lui avait pourtant servi une sévère mise en garde, il y a quelques semaines: Ma’am Frulla, ça sent le conflit d’intérêt, taisez-vous! Mais, cette fois-là, Ma’am Frulla n’avait pas su saisir la balle au bond.
La balle André-Morrow a rebondi devant la Commission Charbonneau, l’entreprise qui porte le nom du mossieu aurait fait de la fausse facturation et la somme ainsi facturée se serait retrouvée dans les coffres d’Union-Montréal, parti de l’ex-maire parti se cacher et ex-parti du maire cachère.
André Morrow, c’est en quelque sorte M’sieu Frulla.
Vingt-quatre heures après que la firme de son conjoint ait été éclaboussée à la Commission Charbonneau, l’ex-ministre Liza Frulla a démissionné de ses tâches de commentatrice à Radio-Canada.
[…] Hier, un grand dirigeant de SNC-Lavalin a affirmé avoir réglé une facture de la firme de relations publiques et de publicité Morrow inc. pour des services rendus au parti municipal Union Montréal.
[…] «C’était une fausse facture. Et c’était pour remplir la commande de faire un versement de 75 000 $ à Union Montréal», a commenté France Charbonneau après les aveux d’Yves Cadotte vice-président principal chez SNC-Lavalin. – Philippe Teisceira-Lessard, La Presse, 15 mars 2013
Dommage qu’elle doive quitter ainsi en toute hâte; elle est si souris quand elle jolit! Heu, le contraire…
Liza Frulla fait valoir que son «mandat de panéliste» impliquait de «commenter librement et spontanément les développements de l’actualité brûlante». Elle dit ainsi avoir pris sa décision de se «retirer pour l’instant […] par respect pour le public et pour ses collègues». – Stéphane Baillargeon, Le Devoir, 15 mars 2013
Plus sérieusement, Liza Effe est l’une des rares à avoir bossé dans un cabinet Libérulle aussi bien à Québec qu’à Ottawa; pour quiconque souhaite s’abreuver de politique comparée, Liza Effe est donc une source qui savait couler d’abondance; qui plus est, elle a également laissé sa marque dans l’entreprise privée, secteur télécommunications, et son expérience des médias constituait pour elle un atout indéniable, aux Ex.
Mais elle avait aussi la fâcheuse manie de couper la parole ou de marmonner un discours plus ou moins audible pendant les interventions de ses collègues; c’était franchement désagréable. Pire, de tous les débatteurs au Club des Ex, c’est de loin celle dont la partisanerie aveugle transpirait le plus; ça n’était pas sans me déplaire quand il était question de Stephen Harper mais ça devenait franchement agaçant quand il était question de politique québécoise!
Comme son nom l’indique, le Club des Ex réunit autour d’une table des politiciens recyclés. Des Ex. Des Ex qui ne font pas mystère de leurs allégeances passées; c’est d’ailleurs ÇA, le concept de l’émission, et c’est justement ce choc des idées qui constitue le principal intérêt de ce show quotidien animé par Simon Durivage. Surtout que ces Ex représentent un vaste éventail de la classe politique – d’autant plus vaste quand y sont invités la néo-démocrate Anne Lagacé Dowson et le Progressiste-Conservateur Benoit Bouchard.
Bouchard est plus près des red Tories d’autrefois que des extrémistes Conservateurs d’aujourd’hui, si bien qu’il lui arrive de juger sévèrement les politiques de Stephen Harper. Lagacé Dowson est née à Toronto d’une mère québécoise issue des milieux Conservateurs; en contrepartie, l’un de ses oncles paternels s’est déjà porté candidat à la mairie de Toronto. Candidat TROTSKYSTE, that is… Un blend politico-culturel intéressant! Jean-Pierre Charbonneau, ministre sous Bernard Landry, a également présidé l’Assemblée Nationale, fait du journalisme et animé à la radio, ce qui lui permet de faire preuve d’un certain esprit critique à l’égard du PQ. Marie Grégoire, qui détient un bacc en communications, a fait un bref séjour à l’Assemblée Nationale (ADQ) et jouit d’une expérience à la radio et d’une expertise en affaires publiques. Et puis, il y a Liza Effe.
Liza Effe a des atouts indéniables: passionnée, bonne communicatrice, vaste culture politique… et générale, expérience du cabinet au fédéral comme au provincial, incisive, elle semble faite pour le job. Malheureusement, elle paraît incapable de la moindre objectivité à l’égard de sa famille politique. Que la direction de Radio-Canada lui ait offert autant de tribunes, dans les circonstances, cela soulève à tout le moins un doute.
La Société Radio-Canada: un laxisme inacceptable
Mais là où la direction de Radio-Canada est vrrrraiment à blâmer, c’est quand elle donne l’impression de n’avoir mis en place aucune norme en matière de conflit d’intérêt. Si une telle norme devait exister, il est inconcevable qu’elle n’ait pas prévu l’obligation pour Liza Frulla de se retirer d’un débat quand il est devenu évident que son conjoint en ferait l’objet. Là où la direction de la SRC est à blâmer, c’est pour n’avoir pas su réagir promptement après que l’animateur Simon Durivage eut souligné que Frulla devrait s’abstenir de participer aux discussions qui allaient porter sur le rôle pour le moins ambigu qu’a pu jouer l’entreprise de son conjoint dans une affaire de fraude alléguée qui a donné lieu à une intervention policière.
Le 22 février 2013, quelqu’un a mis en ligne un extrait du Club des Ex, dans lequel on voit Richard Bergeron (Parti Projet Montréal) dénoncer l’octroi de divers contrats, soit en faveur d’Octane Communications, soit – pour un total de 400000$ – en faveur de André Morrow Communication. À 2:40, à 4:50 et à 6:47, Durivage demande à Frulla de s’abstenir. Mais Frulla ne peut s’empêcher de prendre en ondes la défense de l’entreprise de son conjoint. « Ça, c’est dans le cas d’Octane« , martèle-t-elle à plusieurs reprises. Et ça, c’est sans compter son grommellement presque constant.
Frulla s’en était excusée le lendemain. Mais moi, c’est de Radio-Canada que j’attends des excuses.
Et de un, Durivage aurait dû exiger dès le départ qu’elle quitte le plateau et n’en revienne qu’une fois vidée la question des contrats en faveur de l’entreprise de son conjoint; Durivage connait suffisamment Frulla pour deviner qu’il ne lui suffira pas de lui suggérer (!) de fermer sa gueule. Il aurait dû commander une pause et, pendant la pause, forcer discrètement ce départ ou, à défaut, demander à la régie de lui fermer son micro. Anyway, puisque Durivage n’a pas osé, le réalisateur aurait dû mettre ses culottes.
Accessoirement, Durivage aurait dû commander une pause et exiger ce départ du plateau dès la première récidive de Frulla, ou même dès le moment où elle a commencé à marmonner à la défense de son conjoint. Question de respect envers l’auditoire. Mais il y a aussi cette image de probité que doit projeter un diffuseur public, surtout en cette époque de gouvernance mue par une idéologie qui en menace la survie, ou du moins le financement. Dans les circonstances, on doit ici parler d’un manque flagrant de jugement, de la part de la direction. À moins que la direction ne soit complice de ce même gouvernement et se soit donné pour mandat de lui fournir des arguments. On jase, là, là…
Et de deux, comment la direction d’une radio et d’une télévision publiques peut-elle refuser d’intervenir énergiquement, après un tel incident?
La décision qu’a prise Frulla de se retirer le 15 mars, il lui aurait fallu la prendre au lendemain des remontrances que lui avait servies Durivage en février. Cela dit, et bien qu’elle m’apparaisse tardive, les motifs qu’elle a invoqués l’honorent et je lui sais gré de sa décision.
Sauf que… c’est à la direction de Radio-Canada qu’il appartenait de réagir et de démontrer ainsi qu’elle est digne de la confiance des Canadiens. Il en va de la crédibilité de la société d’État.
Les réactions
J’ai eu l’occasion de lire celles qu’ont publié le Devoir et le blogueur Richard Therrien, du journal Le Soleil.
Dans Le Devoir, Stéphane Baillargeon s’interrogeait:
Sur les réseaux sociaux vendredi, certains questionnaient déjà le délai pris par Radio-Canada pour retirer des ondes Mme Frulla, qui part de son propre chef en plus. Le code des Normes et pratiques journalistiques de la maison dit clairement: «La confiance du public est notre capital le plus précieux. Nous évitons de nous placer en situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel. Cela est essentiel au maintien de notre crédibilité.»
[…] Michel Cormier, directeur général de l’information de Radio-Canada, a remercié Liza Frulla pour sa «passion» et a soutenu que son expérience à la tête de ministères importants à Québec et à Ottawa a constitué un «atout précieux» pour Radio-Canada et RDI. Il a dit «comprendre et accepter» les motifs de sa décision.
Je comprends que Michel Cormier n’occupe pas le poste de directeur de l’information depuis très longtemps. Ça n’excuse pas Radio-Canada de se contenter de RÉAGIR, sans avoir AGI.
Chez Richard Therrien, la critique se limite aux lieux communs habituels: elle a fait son temps, son jupon dépasse trop, elle ne cesse de marmonner, elle coupe la parole… Des 112 commentaires que j’ai pu lire avant la publication du présent billet, aucun n’adresse le moindre blâme à la société d’état pour ne pas avoir su empêcher Frulla de prendre la parole alors que le conflit d’intérêt était pourtant évident et alors même que l’animateur avait servi une première mise en garde à sa panéliste.
Et malgré que Stéphane Baillargeon avait pourtant lancé ses lecteurs sur une piste intéressante, aucun des commentateurs n’a osé emprunter cette voie.
Ouin Durivage s’est fait avertir après qu’on ait été des dizaines à écrire à l’ombudsman pour lui dire que la situation de Fru Là n’avait pas d’allure?
Je ne sais pas si j’ai gardé mon courriel et la réponse du plouc de service. Si je l’ai je vais la coller ici.
Genre l’année passée quand ça a commencé à débouler à la Ville et que Madame aux deux pensions de ministre plus les cachets de SRC défendait la Ville en ondes? Faisant ainsi la job de son chum? Ce n’est pas d’hier ce problème-là!
C’est comme Flanagan qui avait tenu des propos pro-exploitation sexuelle des enfants en 2009 (j’m’excuse ce n’est pas de la porno, c’est un acte criminel et encourager un acte criminel) publiquement. Il a fallu qu’il recommence pour que la SRC lui donne son 4%!
Je lui souhaite de porter son coat de poêle au 9e cercle de Dante!
Il faut avoir du front tout le tour de la tête et une mâchoire de pitt-bull pour oser essayer de défendre
ce triste sire de Morrow encore une fois. Rappelon-nous le scandale des commandites où le nom de
Morrow a surgi grâce à un journaliste d’enquête…
@ André R.
Une mâchoire de pit-bull? Je ne veux surtout pas faire de la psychologie à cinq cennes, mais Frulla me fait penser à ces fillettes qui se portent bec et ongles à la défense de leur homme, au point d’en perdre toute capacité de discernement.
La preuve qu’on peut se tromper, toutefois, c’est ce que j’avais pensé d’Anne Sinclair au sujet de son coureur de jupons de Strauss-Kahn. Aujourd’hui, pas sûr qu’elle fasse preuve de la même solidarité envers lui. Bref, peut-être Frulla va-t-elle finir par s’ouvrir les yeux?
Mais même si elle s’ouvrait les yeux sur le Morrow, libérale teindue jusqu’à ma moelle elle sera.