Ou bien le Roi Régis est-il lui-même le plus petit des grands naïfs, ou bien il prend ses concitoyens pour des valises. Dans l’une et l’autre hypothèse, Labeaume aura contrevenu à ses obligations de fiduciaire des fonds publics. Dans l’un ou l’autre cas, il aura commis une faute qui risque d’engager la responsabilité de la Ville. Et dans l’un et l’autre cas, il se sera exposé à être démis de ses fonctions au terme d’un (long et coûteux) processus judiciaire.
Et s’il s’avérait que le Maire ait raison, se demandait un lecteur [1] le 15 avril? En droit, je ne crois pas que la question puisse se poser… Ça n’est pas l’argent du maire; il n’a pas le droit d’en faire ce qu’il veut et de le gérer avec une telle désinvolture.
Si le maire de Québec s’est immiscé dans la saga du Concorde en modifiant le zonage, c’est pour protéger la vocation hôtelière de l’édifice et «envoyer un message à la mafia ou à toute autre organisation criminelle au Québec pour leur dire que Québec n’était pas une terre d’accueil pour leurs investissements immobiliers». – Olivier Parent et Stéphanie Martin, Le Soleil, 11 avril 2014
Si le crime organisé a vraiment utilisé un prête-nom pour s’introduire parmi les propriétaires de l’édifice Le Concorde, Régis Labeaume croit-il vraiment être en mesure de les faire reculer au moyen d’un amendement à un règlement de zonage?
S’ils veulent acheter, ils vont acheter. S’ils doivent s’en tenir à une stricte vocation hôtelière pour y prendre pied, ils s’en tiendront à une stricte vocation hôtelière… d’autant plus qu’entre de mauvaises mains – une telle vocation est loin d’être incompatible avec diverses activités illicites: trafic de chair humaine, trafic de substances douteuses, facturations factices et autres formes de blanchiment d’argent… Cela dit, qu’est-ce qui interdirait à quelques amis d’un quelconque mafieux de louer un ou deux étages en permanence, accessibles via un ou des ascenseurs « privés »? Les apparences seraient sauves…
Du moins pour notre roitelet du Boulevard Charest.
«J’ai eu d’autres informations et c’est clair», a lancé le maire de Québec lundi matin pour justifier une nouvelle fois l’intervention de la Ville pour bloquer la vente du Concorde à un groupe d’investisseurs anonymes retenu par le Groupe Savoie.
[…] De son côté, le groupe d’investisseurs qui a sommé le maire de dévoiler le nom de ses sources affirme qu’il pourrait considérer poursuivre la Ville en diffamation. Me Stéphane Harvey, avocat des investisseurs, soutient avoir offert au maire Labeaume la possibilité de s’expliquer, mais que ce dernier n’a rien fait de cela.
« En ce qui nous concerne, on voyait deux possibilités pour le maire Labeaume, soit se rétracter, soit dévoiler ses sources. Il n’a fait ni l’un, ni l’autre. – Radio-Canada, 14 avril 2014
Perso, ce n’est pas de cette éventuelle poursuite en diffamation dont je me méfierais davantage; certes, ça pourrait dégarnir les coffres de la Ville mais plus probablement les réserves de son assureur. Le maire a parlé dans l’exercice de ses fonctions de maire; en principe, le risque relié à la diffamation en de telles circonstances est « couvert » par la police d’assurances – avec, toutefois, une franchise (le « déductible »).
Mais s’il n’y avait que cela… D’une part, si Eddy Savoie – le tout récent propriétaire de l’édifice – se voit interdire le droit d’y exploiter une résidence pour personnes retraitées, il faudra voir si, au moment où il en était le propriétaire, le zonage l’y autorisait. Au cas de modification dirigée contre Savoie, un recours existe. D’autre part, si, comme tout le laisse croire par ailleurs, le zonage en vigueur au moment où Savoie en a fait l’acquisition autorisait une vocation mixte (condos et hôtel), et si le Conseil de ville s’est empressé de retirer au nouveau propriétaire le droit à certains usages, voilà une source additionnelle de recours.
Et de un, Régis Labeaume reconnaît que le règlement de zonage vise UN seul édifice et UN seul propriétaire, tout en ciblant UNE seule transaction immobilière. Et ça, ça pourrait suffire à faire annuler le règlement.
Et de deux, Labeaume reconnaît également que SON règlement a pour seul objet de faire savoir à la mafia qu’elle n’est pas la bienvenue. Dès lors, il ne s’agit plus d’un règlement de zonage, mais plutôt, d’une tentative de déterminer qui a le droit d’être propriétaire de tel immeuble.
Ça ne me semble pas dans les attributions d’un Conseil de ville. Le droit de propriété relève du gouvernement provincial, tout comme la sécurité publique; le Code criminel, lui, est de la compétence du gouvernement fédéral. Bref, un avocat raisonnablement futé pourrait fait annuler le règlement puisqu’il excède les champs de compétence de la ville. Ultra vires, qu’on disait dans le temps; c’est du latin.
C.est ça que ça donne, un maire populiste qui gouverne au pifomètre sans même consulter. Et tous les élus qui auront participé à cette mascarade pourraient perdre leur droit de siéger au sein d’un Conseil municipal…
Mauvaise foi?
[Le maire Labeaume]a aussi indiqué qu’il ne rencontrera pas les investisseurs. Il laisse maintenant le dossier au directeur des grands projets de la Ville de Québec, Charles Marceau.
« Le dossier est clos, je n’ai plus rien à dire là-dessus. Nous autres, ce qui nous importe cette semaine, c’est le débordement potentiel des rivières et l’amphithéâtre », dit le maire. – Radio-Canada, 14 avril 2014
Attitude typique d’un boss des bécosses tellement convaincu d’avoir pris la bonne décision qu’il n’acceptera jamais d’être confronté et remis en question. Attitude typique d’un maire intégriste, qui gouverne par le dogme plutôt que par le droit.
Attitude typique d’un fat, tellement imbu de sa propre personne qu’il ne lui est plus possible de se remettre en question.
En droit, la maiuvaise foi ne sert jamais les intérêts de qui en abuse…
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[1] Ce lecteur, c’est Jeannot Breton. Ma réponse à moi? Labeaume peut avoir eu raison de se méfier, et il peut sembler approprié que la Ville s’en mêle et fasse obstacle à un mafieux – si mafieux il y a. Le problème, c’est que, en droit, la Ville a commis faute par dessus erreur et ça pourrait lui coûter cher. Commentaire publié sur le site de Radio-Canada.